Prendre le temps.

Certes, il est facile pour l'homme moderne de se laisser engloutir par le flot incessant d'images et d'informations vomi par le monde sur son existence misérable. Parfois cependant il faut se dresser et dire non! non, je ne veux plus passer moins de 5 secondes sur chaque image, idée, concept, ou information; non, je refuse la paresse et vais faire l'effort de me concentrer sur une chose et de prendre mon temps.
Au cas où tu ne l'aurais pas compris, ce temps est venu. Voici donc deux images fascinantes qu'il va falloir savourer.


La première vient du passé. Le 22 octobre 1895, gare Montparnasse. Il est 16h du soir. Le train provenant de Granville arrive à l'heure, à la grande joie des voyageurs; porté par son enthousiasme, il rechigne à s'arrêter, défonce les butées en bout de voie, racle le sol jusqu'au mur de la gare, le détruit, et tombe une dizaine de mètres plus bas.

L'article afférent de Wikipedia propose une version de plus haute résolution que celle ci-dessous, pour ton bonheur visuel.


La seconde vient de Mars. Depuis trois ans maintenant, la NASA y possède les deux voitures radiocommandées les plus chères de l'Histoire, et indubitablement les plus formidables. Alors qu'elles étaient supposées durer trois mois, elles refusent de mourrir et en attendant, la NASA se ballade et prend des photos. Ce sont donc les premières photographies du sol de Mars, prises à son niveau, à avoir une telle qualité.
En ce moment, c'est l'hiver sur Mars, et les rovers hibernent. Juste avant, Spirit a eu le temps de prendre un superbe panorama dont voici une infime partie:


Oui, ce sol, ce ciel, ces rochers épars, appartiennent à une autre planète. Une fois dépassée la déception de ne pas voir sur le cliché des choses comme ceci, à regarder dans le détail la version haute définition, on se perd dans un paysage si étranger et pourtant si familier, à quelques centaines de millions de kilomètres de distance. C'est à couper le souffle, sauf si l'on est blasé ou si on s'en fout complètement. Je préconise le souffle coupé.

Le pingouin et son bulletin

Le moment est important. La démocratisation de l'ordinateur et d'internet posent de nouveaux problèmes qui doivent être tranchés par des lois. D'aucuns pourraient croire que certains enjeux sont peu pertinents pour la vie de tous les jours, et pourtant ces choix sont cruciaux pour nos sociétés. Le problème est que pour l'instant, souvent, les entreprises ont fait pencher les législateurs, peu conscients des enjeux ou peu enclins à l'être, de leur côté.
Voici des choses éparses à ce sujet.

Vente liée

Tout remonte au traditionnel gros méchant de l'informatique. Microsoft fabrique de la soupe aux endives; ils ont réussi à convaincre le monde que le seul aliment équilibré était la soupe aux endives, que la soupe aux endives, c'est bon, et que d'ailleurs tout le monde adore la soupe aux endives, et de toute façon rien d'autre n'existe, alors à table. Le consommateur s'est habitué à se faire dicter ce qui est bon pour lui, n'y connaissant pas grand chose lui-même. Fort de ce fait, Microsoft déroule la machine. Son propre réseau informatique (le défunt MSN, avant qu'Internet ne voie le jour), ses applications que l'on prend bien le soin de rendre partie intégrante du système pour ne pouvoir les enlever (Internet Explorer, Windows Media Player...), ses formats de fichers (Word), et réussit à faire gober à ses clients que ordinateur et Windows ne font qu'un tout logique.
Un ordinateur dans un magasin, c'est une tour, un écran. Quand on l'achète, il y a plein de cds dans le carton, on l'allume et le logo de Windows apparaît. Microsoft a réussi à faire passer cela pour normal.
- Oui mais j'avais déjà Windows sur mon ancien ordinateur... dommage, tu viens de le racheter (~ 20-30% du prix du nouvel ordinateur). Dans le magasin, aucun moyen de connaître, comme selon la loi, la part du prix liée au matériel (la tour) et celle du logiciel (Windows et tous les logiciels misérables donnés avec, que tu n'utiliseras jamais mais que tu as bien payés).
- Oui mais je suis un type cool et je voulais installer Linux sur mon ordinateur... dommage, tu as quand même payé Windows, et bonne chance pour te faire rembourser.

Interopérabilité, DRM

L'impératif d'interopérabilité pour le consommateur, c'est le loisir de pouvoir jouir de l'oeuvre artistique qu'il a achetée contre monnaie sonnante et trébuchante de la façon qu'il entend. Une chanson téléchargée légalement sur internet doit pouvoir être lue sur son pc, son lecteur mp3 quel qu'il soit. Apple par exemple, ne propose sur sa plateforme que des chansons uniquement lisibles avec leur lecteur, l'Ipod. Un peu comme si tu achetais des oeufs, mais qui ne pourraient être cuisinés qu'avec la poêle du fermier.
Ces protections (appelées DRM) servent-elles le consommateur honnête? Celui-ci, contrairement aux vilains pirates qui font de leurs mp3s ce qu'ils veulent, est contraint dans sa liberté de jouir de son achat. Ne parlons pas des aberrations qui en découlent. Par exemple (oui en fait il faut bien en parler un peu), les licences donnant le droit à un pc de lire tel ou tel fichier multimedia protégé, dépendent du matériel du poste utilisé. Ce qui veut dire que de nombreuses personnes ayant par exemple rajouté un disque dur ou un lecteur, ou ayant dû réinstaller windows, ont perdu les droits pour lire leurs fichiers chèrement acquis.
Encore plus fort, utilisant Linux, je ne peux pas lire ces fichiers protégés, car Microsoft ou Apple se gardent bien de communiquer leurs petites recettes. Faut-il que pour écouter de la musique sur mon ordinateur j'investisse dans un Macbook ou que j'achète Windows? C'est encore plus drôle pour lire des DVDs: ceux-ci étant cryptés, il faut utiliser un logiciel pour les décrypter. Ah oui mais d'après notre jolie loi DADVSI, c'est un contournement de mesure technique de protection, passible de quelques centaines d'euros d'amende. D'ailleurs les députés, qui seront dans quelques mois tous équipés d'Ubuntu Linux, n'auront donc pas le droit de lire des DVDs en vertu de la loi qu'ils auront votée quelques mois plus tôt.
En tant que consommateur payant, a-t-on encore le droit de profiter de son achat?

Formats fermés et ouverts, logiciels libres

Voilà bien un sujet qui paraît cantonné à une poignée d'informaticiens barbus dans leur sous-sol: l'ouverture des formats des fichiers. L'idée que n'importe qui peut savoir comment lire et sauvegarder une donnée (comme une lettre ou un CV) dans un fichier. Le problème, c'est que par exemple, Microsoft change ses formats à chaque version de Word, en prenant particulièrement soin que l'ancienne version ne puisse pas lire les nouveaux fichiers. C'est là qu'il faut payer. Et quand c'est l'Etat qui veut pouvoir lire les nouveaux fichiers? A-t-on idée du coût faramineux des licences des mises à jour en jeu? Et un Etat souverain doit-il être tributaire d'une compagnie privée étrangère pour le bon fonctionnement de son appareil?
La France commence à comprendre que non. De nombreux ministères, ou des départements comme la Gendarmerie, sont passés à OpenOffice.org. Pour les ignares, c'est une suite d'applications logicielles comprenant traitement de texte, tableur, présentations, etc. Comme Microsoft Office, compatible avec celui-ci, mais totalement gratuit.
Oui, se dit le profane, mais j'ai vu à Carrefour le CD de Microsoft Office à 400€ ou plus, c'est que c'est sûrement plus fiable et performant que ton machin bidule donné. Pour répondre rapidement, non. Que Microsoft ose proposer ses logiciels à de tels prix démontre simplement l'emprise culturelle de l'entreprise sur les consommateurs, qui sont dans l'ignorance qu'il existe un choix, et encore mieux, un choix totalement gratuit.
Et pour en revenir aux formats des fichiers, ceux utilisés par Openoffice sont bien entendu ouverts. Cela veut dire que dans 20 ans, avec OpenOffice ou son descendant, il sera possible de relire tes fichiers. Tu ne garderas peut-être pas tes fichiers si longtemps, mais l'Etat, les entreprises, si. On n'y pense pas parce qu'il y a 20 ans, les fichiers, c'était un classeur de feuilles dans un placard; mais l'Etat, l'armée, la police, les banques, etc, en auront besoin.
Il existe pourtant une solution: les logiciels libres. Ils sont gratuits, librement téléchargeables, consultables, distribuables, modifiables. Ils sont souvent d'une qualité égale ou supérieure à leurs homologues propriétaires et fort coûteux. Linux, Ubuntu, Firefox, Amarok, K3B, Gimp, OpenOffice, et des milliers d'autres, proposent des alternatives gratuites, pérennes, libres de tout aléa commercial d'une maison mère. Le code source est disponible, ce qui veut dire qu'une administration peut les adapter précisément à son besoin.
Quelle doit être la politique de l'Etat vis-à-vis des logiciels libres en général? L'école doit-elle par exemple apprendre à effectuer un traitement de texte, ou à utiliser Microsoft Word? Doit-elle former les générations futures à l'informatique, ou à Microsoft Windows? L'école de la République doit-elle former et donner des compétences, ou bien pondre des futurs consommateurs pour une entreprise américaine?
Plus crucial à l'essence même de notre société, par rapport par exemple aux brevets logiciels que certains industriels essaient de faire passer en Europe comme ils les ont fait passer aux USA: le savoir a-t-il vocation à être la propriété commerciale d'une élite d'entreprises, ou à être libre et ouvert à tous?



La campagne électorale en ce moment élude totalement ces thèmes, qui sont aussi pertinents maintenant qu'ils seront lourds de conséquences dans le futur. Pour que ceux qui s'en inquiètent puissent tout de même voter en connaissance de cause, l'APRIL a monté l'excellent site www.candidats.fr, qui a envoyé à chaque candidat un questionnaire et qui en publiera les réponses. Pour donner plus de poids, il y a également une déclaration d'utilisation de logiciels libres, qui n'engage à rien, mais qui permet de montrer que l'enjeu a aussi un impact économique, social, culturel, et plus largement touche aux valeurs de la République.
Signe donc, et surveille les réponses qui devraient normalement arriver bientôt.