Hadopi, la bonne rigolade

Ca y est, la loi Hadopi a été rejetée, grâce aux socialistes qui savent cacher une poignée de députés. Bien sûr, c'est un scandale pour la démocratie qu'une loi aussi aberrante puisse passer ou ne pas passer devant la seule présence d'une quarantaine de députés, sur ~580. Quand à l'UMP qui dénonce une manoeuvre, c'est burlesque, quand on pense aux députés UMP qui pendant les débats ne venaient que pour les votes des amendements, et repartaient aussitôt que les débats reprennaient. Alors évidemment, on les voit partout ces derniers temps, Copé qui n'était pas là pour voter, Karoutchi qui n'était pas là pour voter, ou l'insupportable Lefevbre qui avait préféré se casser pour aller manger plutôt que voter.
Du coup, c'est reparti pour un tour. C'est pour le 28 avril, dit le gouvernement. Albanel a même ce soir dit que si sa loi n'était pas représentée le 28 avril, elle partirait. Ca tombe bien, d'après le député UMP Tardy, qui était le seul à droite à savoir de quoi il parlait pendant les débats, la date du 28 avril n'est pas si évidente que cela.
Ferait-on ainsi d'une pierre deux coups? Se débarrasserait-on d'une loi anachronique qui ne sert que quelques industriels en nous privant de libertés individuelles, ET d'une ministre de la Culture d'une nullité si avérée?
En attendant, je suis fort amusé que Google me référence en 1ère position pour la recherche "mensonges Hadopi". C'est une petite fierté, comme d'être premier pour "Florent Pagny Assassin". Ca fait chaud au coeur.

Un peu de littérature que diable IV

On continue, c'est que de la SF pour le coup.

16. Broken Angels, Richard Morgan
Après une très bonne impression de son premier roman avec Takeshi Kovacs, je me suis lancé dans le second avec enthousiasme. Bon, il est en dessous d'Altered Carbon, et là où le premier était un savoureux mélange de roman noir et d'anticipation, celui-là fait plus dans la SF militaire. Il y a toujours de l'action, des gens qui se prennent des coups, et même des restes archéologiques laissés par des Martiens il y a quelques milliers d'années. Bref, c'est toujours de la meilleure SF que tout ce qu'a fait Hollywood depuis des temps immémoriaux, mais c'est moins frappant qu'Altered Carbon.


17. Pastwatch: Redemption, Orson Scott Card
J'ai toujours aimé les histoires de voyage dans le temps, sans doute depuis une délicieuse nouvelle de William Tenn où un clodo, payé par un scientifique qui vient d'inventer une machine à voyager dans le temps, remonte au cambrien, et finit par détruire le monde par bêtise et désintérêt. Orson Card, c'est surtout l'auteur d'Ender's Game, un des classiques de la science-fiction qui se laisse facilement dévorer en un après-midi de dimanche pluvieux. Dans ce roman, des scientifiques ont une machine qui permet de voir dans le passé: ils deviennent des historiens qui sont alors témoins des faits marquants comme des moindres aspects de la vie des gens d'autrefois. Certains se penchent sur le cas de Christophe Colomb, qu'ils tiennent pour un personnage clé dans la destruction des civilisations amérindiennes. Mais comme Nietzschounet et son abysse, ces historiens s'aperçoivent que s'ils peuvent voir le passé, ils peuvent aussi être vus... Bon, au final c'est un peu léger, c'est plein de bons sentiments consensuels, mais c'est une histoire de voyage dans le temps donc c'est déjà ça.

18. To your scattered bodies go, Philip José Farmer
Voilà un autre classique de la SF que je n'avais jamais lu. Un jour, tous les gens ayant jamais existé sur Terre se réveillent. Ils sont nus, seuls, sans explication, sur les rives d'une interminable rivière. Ils sont mélangés par nation, époque, langue. Pour essayer de découvrir ce qu'il se passe, certains construisent un radeau pour descendre la rivière, rencontrant des gens de tous temps et de tous lieux. Un bon livre, mais avec une fin trop ouverte, pour permettre à Farmer d'engranger les suites.

19. Count Zero, William Gibson
William Gibson est M.CyberPunk. Ses héros sont des hackers, qui évoluent dans un monde brutal qui appartient à qui sait trouver, manipuler et utiliser l'information au bon moment. Le nom du sous-genre SF reprend très bien l'esprit de ces univers. C'est un genre un peu délaissé dans sa forme première (datant dans années 80) parce qu'avec l'avènement d'internet, et par exemple la mafia russe qui contrôle notoirement d'immense réseaux de botnets pour les louer aux malfrats les plus offrants, le cyberpunk paraît plus être prophétique que de l'anticipation. Il a été récupéré par Hollywood, qui a retiré le côté Punk et réduit le Cyber au minimum. Matrix, par exemple, est une faible et pâle copie de Neuromancer de Gibson.
Toujours est-il que Count Zero est dans cette tradition, avec pour anti-héros un hacker plutôt mauvais qui se retrouve embarqué dans une histoire sérieuse et sérieusement alambiquée. C'est aussi une des marques de Gibson, apparemment: quand on finit son bouquin, on sait qu'il s'est passé des tas de choses, mais on n'est jamais sûr de quoi exactement.

20. The Man in the High Castle,
21. The Three Stigmata of Palmer Eldritch,
22. Do Androids Dream of Electric Sheep?,
23. Ubik, Philip K. Dick
Hollywood, quand il ne reprend pas Gibson, fait du K. Dick. Ces dernières années, il est difficile de trouver un film de SF majeur n'étant pas tiré d'un de ses livres. Etant étonné de ce constat vu toute la bonne SF contemporaine décrite dans ma formidable liste, j'ai voulu m'attaquer à cet homme dans un joli volume reprenant quatre de ses romans.
Conclusion: Philip K. Dick était fou. Il plaît maintenant plus qu'il n'a plu à son époque parce que sa SF est très noire, schizophrène, paranoïaque. A part le premier roman qui est en réalité une uchronie où les Alliés ont perdu la Seconde Guerre mondiale et où la Californie est administrée par les Japonais, ces oeuvres parlent d'un futur lourd et noir où l'homme cherche toujours à fuir la réalité au point de ne plus savoir distinguer le virtuel du réel. Et le lecteur est embarqué par la même occasion: ce qui semble vrai au début du roman bascule soudain dans l'irréel, et l'irréel apparaît comme avoir toujours été le vrai. Et puis ça bascule encore, une, deux, trois fois. Dans The Three Stigmata of Palmer Eldritch, c'est une drogue qui permet de s'échapper, dans Do Androids Dream of Electric Sheep? , le protagoniste qui poursuit des androïdes ne sait plus trop s'il est vraiment humain, et dans Ubik... dans Ubik il ne vaut mieux pas essayer de chercher le vrai du faux, ou alors on atteint vite des dizaines de lectures différentes de ce qu'il se passe vraiment.
Ce qu'Hollywood cache bien soigneusement en reprenant des histoires de Philip K. Dick, c'est son pessimisme total: tous ces romans sont désespérés. Les personnages essaient de comprendre ce qu'il se passe, mais sont toujours dépassés, sont toujours le jouet de puissances plus fortes, et n'ont aucun espoir de reprendre la main sur les évènements. Les mondes de K. Dick sont des mondes qui écrasent leurs habitants sans leur laisser leur chance. Des mondes où les individus sont manipulés, méprisés, et insignifiants. Et là où Hollywood veut garder au final l'idéal américain de l'homme qui peut se sauver par son labeur, mythe du rêve américain prolongeant le puritanisme des premiers colons, Philip K. Dick reste implacable. Au bout, il n'y a que l'abîme.