Nos maitres Google.

Je suis un assez vieux con pour avoir connu Internet avant que Google n'existe. A l'époque, j'avais une connexion du feu de Dieu qui prenait le téléphone pour uploader mais le cable pour downloader, les CDs d'AOL submergeaient la planète, et la production de Duke Nukem Forever allait bientôt commencer. J'écoutais Blur et Oasis, et j'étais assez naïf pour croire que c'était Oasis qui allait gagner. Exilé, je commençais, timidement, à utiliser Napster pour pouvoir écouter de la chanson française. J'encodais mes disques en mp3 à 128kbps, en ayant des sueurs froides à l'idée de la place qu'ils prenaient sur mon disque dur de 700Mo.

Les poids lourds d'Internet s'appelaient AOL et Microsoft. La télévision regorgeaient de publicité pour Lycos ou Yahoo. Les blogs n'existaient pas, mais les pages personnelles Geocities, avec leurs couleurs vives et leurs gifs animés ringards, débordaient de tout leur mauvais goût sur les nouvelles voies de l'information. Les sites étaient conçus par des pionniers qui n'avaient aucun sens de l'esthétique et qui codaient comme des chaussettes. Internet, à cette époque, était gras, surchargé, aggressif, brouillon.

Et puis une des innombrables nouvelles entreprises est venue dans ce fouillis, avec comme interface principale une page blanche, avec un unique champ de recherche au milieu. Net, dépouillé. Au-dessus, un nom tout rond qui ressemble à un mot d'enfant. Google était sobre et faisait des recherches pertinentes. Les gens ont commencé à l'utiliser.

Maintenant, ce sont nos maîtres. "Google" est devenu un verbe en américain. Petit à petit, service par service, ils ont rongé les marchés des concurrents, avec toujours la même efficacité, et la même sobriété. Ils détiennent probablement plus d'informations personnelles que la plupart des gouvernements. A intégrer tous leurs services, ils peuvent reconstituer des vies entières. Ils hébergent au même endroit courriels, flux rss, documents, blogs, historiques de recherche, etc, jusqu'à la position des personnes par GPS. Ils peuvent savoir ce que disent les gens, ce qui les intéresse, ce qu'ils cherchent, ce qu'ils veulent, ce qu'ils pensent, où ils sont.

Pourtant, contrairement à Microsoft, qui s'est répandu par la force, et Apple, qui a trouvé sa niche par une alliance originale d'innovation, de marketing et de fermeture totale de ses produits, Google a par comparaison toujours joué l'ouverture et la clarté, avec toujours plus de services gratuits et réutilisables à loisir. Alors, naturellement, ils se répandent toujours plus dans tous les recoins d'Internet, en inventant de nouveaux quand le besoin se fait sentir. On fait confiance à Google, nos bienveillants dictateurs, là où pour toute autre entreprise ou gouvernement, on aurait crié au scandale.

Aussi, pour compléter mon statut d'homme googlifié, j'ai troqué mon téléphone pour un splendide HTC Magic incorporant la plateforme Android. Android, c'est du Linux, avec tout plein de Google scotché dessus. Le résultat est un petit ordinateur portable, tacticle, qui tient dans la main, constamment connecté à Internet, et qui accessoirement permet d'émettre et de recevoir des appels. C'est une fenêtre qui donne spécialement le regard sur tout l'univers Google, mais aussi sur le reste. Google Mail/Talk/Reader/Maps/Agenda/Docs/Blogger/Picasa toujours sous le pouce. L'appareil photo se tranforme en lecteur de code barre pour chercher si un produit n'est pas moins cher sur internet. Le GPS lié à Google Maps et Street View fait que se perdre quelque part relève de la mauvaise volonté. Le téléphone, vu directement comme une clé USB sous Linux. Des bureaux virtuels sur le téléphone. La connectivité Wi-Fi à toutes les box SFR et Free (et appels vers les fixes en France illimités en profitant du serveur SIP de Free, d'ailleurs). Un client SSH pour me connecter à mon serveur, un client pour vérifier ce que fait mon serveur rtorrent, ou pour donner un fichier nzb à manger à Sabnzb+. Une application pour changer automatiquement la sonnerie, par exemple, suivant la zone géographique où l'on se trouve. La télé sur le téléphone pour regarder le Tour de France même aux toilettes. Un répertoire d'applications qui ne cesse d'agrandir, et même, joie suprême, la possibilité d'écrire ses propres scripts Python pour contrôler le téléphone.

Moi, homo googlius, suis maintenant en permanence connecté, libre de faire ce que je veux et pourtant remettant mes données aux mains de tiers. Allez, encore quelques décennies et on arrivera enfin aux implants neuronaux à la Peter F. Hamilton, avec du Google Ads dedans.

Hadopi, suite et espérons fin.

Ca y est, le conseil constitutionnel a rejeté le principe de sanction administrative conduisant à la coupure d'internet, au nom de la liberté d'information et du respect de la présomption d'innocence. Qui eut cru que la volonté de Sarkozy de faire plaisir à ses amis pouvait se heurter à quelque chose d'aussi banal que la constitution?

Hadopi n'aura donc pour seul pouvoir et utilité que d'envoyer des mails.

Albanel, qui a oublié qu'elle avait promis sa démission si la loi ne passait pas, s'acharne à vouloir faire passer sa créature, même si elle est déjà morte. Quitte, ensuite, à l'amender pour que la coupure d'accès à internet soit prononcée par un juge.

Sachant qu'elle a promis 1000 déconnexions par jour, les juges, qui s'ennuient, vont applaudir l'idée. Surtout que dès le premier procès tout avocat digne de ce nom n'aura qu'à soulever que l'adresse IP est falsifiable, et après tout le monde pourra rentrer chez soi.

En attendant un gouvernement qui saura enfin pondre une loi qui fait entrer l'accès à la culture dans le XXIe siècle, au lieu d'essayer péniblement de faire durer les habitudes révolues du XXe, chacun peut déjà ajouter un filtre envoyer directement tout mail reçu de *@hadopi.fr à la poubelle.

Europe.

Quel week-end mouvementé dans le monde! Alors que les brésiliens ont arrêté de ramasser des cagettes dans l'océan pour retrouver le vrai Airbus A330 en lambeaux, alors que la France salue la mort d'Omar Bongo tout en cherchant, selon toute probabilité, avec frénésie si des fois l'homme n'aurait eu la mauvaise idée de laisser des mémoires ou des papiers embêtants derrière lui, alors que le feuilleton Obama est passé sur nos plages, dans nos musées et s'est envolé à nouveau vers Washington avec des robes dans les soutes, quelques-uns ont quand même pensé à aller voter.

La première chose, c'est que l'UMP a gagné. Certes, pas aussi chichement que les droites des pays alentours, qui taquinaient plus volontiers le 40% que le 28%, mais c'est un succès tout de même. Je ne me hasarderai pas à une analyse, car honnêtement je ne sais pas trop. Le processus est toujours le même: on gère l'hôpital/l'université/la justice/l'audiovisuel/la culture comme une entreprise comme les autres, en nommant un copain de Sarko à sa tête, et on fait tout un tas d'annonces éphémères qui font bien au JT de 20h et que tout le monde oublie vite (le télétravail quand on est malade, les fouilles systématiques à l'entrée des lycées, pour les derniers spasmes absurdes), ou alors on fait des lois creuses et innaplicables pour pouvoir dire qu'on les a faites. Ca marche. Au XXIe siècle, l'espace politique est l'espace médiatique.

Le succès de l'UMP révèle d'ailleurs toute la grossièreté de Brice Hortefeux, qui se retrouve 'malgré lui' élu, alors qu'il ne pensait faire que de la figuration. La démocratie apparemment est un jeu, et être élu, c'est-à-dire se voir remettre par le peuple un mandat à exécuter en son nom, est un beau désagrément, car il faudrait alors quitter la cour du président. Ce qu'ils doivent être contents, ses électeurs, qui se voient méprisés au point que c'est Sarkozy qui va décider si oui ou non l'homme qu'ils ont élu en tant que député européen va les représenter ainsi qu'ils l'ont voulu par les urnes!

Allez, passons pour cette fois parce que Sarkozy a eu un trait d'humour ce weekend, dans sa conférence de presse avec Obama. Quand on demande à ce dernier pourquoi il ne passe pas beaucoup de temps en France, Sarkozy s'énerve dans son ton habituel de vous-la-presse-vous-êtes-vraiment-trop-crétins et, le sourcil relevé d'indignation, demande au journaliste s'il croit qu'ils n'ont que ça à faire, de poser pour les photographes alors qu'il y a du travail. Sarkozy, M. Bling-Bling, l'homme de Voici et de Gala, celui qui a fait du politique un people, qui rechigne à se faire prendre en photo à côté d'Obama, qui jusque-là lui avait systématiquement refusé ses demandes d'entretiens devant les caméras? C'était sans doute la prescience du score du PS le lendemain qui le mettait d'humeur joueuse.

Mais l'important est ailleurs.

Bayrou, qui samedi avait les noms des sondeurs qui ourdissaient sa perte à coup de manipulation médiatique, a oublié de les donner hier soir. A force de trop penser à la présidentielle, on rate des marches.

Le PS s'est comme d'habitude ridiculisé à nouveau, comme à virtuellement toutes les élections depuis Jospin, mis à part une régionale par ci, ou une municipale par là, et est passé à 0,2% de devenir le deuxième parti de gauche en France. A écouter Aubry, ou Hammon, c'était prévisible, ils dressent eux-mêmes un tableau tellement noir du PS qu'ils auraient dû, par humanité, prévenir avant dimanche les français d'éviter surtout de voter pour eux. Le problème, c'est qu'ils ont les mêmes phrases depuis le 21 avril 2002, et que c'est long, tout de même. Bien sûr, Royal, qui avait senti venir le grain, s'est bien gardée de montrer sa tête dimanche soir, et prépare sans doute son retour triomphal au sein de l'appareil du PS, sans se douter un seul instant que tout le monde se contrefout éperdument du savoir si les nullos à la tête du PS s'appellent Aubry, Royal, Hollande, ou Fabius. "Il faut se reconstruire, il faut recoller à la société, il faut travailler les idées..." Depuis sept ans, ils procrastinent, parce que les gens de la génération Mitterrand qui sont maintenant en haut de la bête s'imaginent qu'elle marche encore comme à l'époque, et qu'il faut juste attendre.

Pour Cohn-Bendit, par contre, c'est une victoire, et personne ne l'attendait à 6% au-dessus du PS en région parisienne, par exemple. A s'appeler Europe-Ecologie, il a réussi à faire oublier que derrière se cachent les Verts, qui sont d'habitude connus pour se détester mutuellement et ne pas rentrer de vacances quand il y a une marée noire en France (n'est-ce pas Mme V.?). C'était surtout la seule liste à oser parler d'Europe dans une élection européenne où tous les autres se battaient pour la présidentielle.

Un perdant, par contre, c'est le rondouillet Besancenot, qui avec son NPA pour rassembler les gauches bien à gauche, se retrouve derrière le PC, et ça, comme disent les jeunes, c'est la lose.

Enfin, Gollnish, Marine et son papa vont pouvoir aller à Strasbourg rejoindre les fascistes de toute l'Europe, dans le groupe le plus classe et sympa du parlement.

Quant aux 60% d'abstentionnistes, je les remercie d'avoir donné à ma voix beaucoup plus d'importance que s'ils avaient voté.