Des gens raisonnables.

Voilà un moment que je n'avais pas parlé d'Hadopi, dont la seconde mouture va être votée le 15 septembre. La solution à tous les maux? Non, ça ne fait pas encore assez plaisir à l'industrie (on ne demande pas l'avis des artistes de toute façon), alors ensuite, on va repartir sur un Hadopi 3: le ministère de la culture a déja lancé une commission pour une autre loi, présidée par le patron de la maison de disques de Carla Bruni. Les copains, toujours les copains.
L'industrie de la musique, donc, n'est pas contente. Les ventes de CDs sont en chute libre, ce qui paraît évident vu que tout le monde écoute de la musique sous format numérique. La cause officielle? Ces sales pirates, bien entendu. Soit dit en passant, ces pirates sont apparemment exclusivement mélomanes vu que la fréquentation des salles de cinéma, par exemple, a bondi de 56% cet été, sans Hadopi.
Alors, chez les majors, on fulmine, les marges ne sont plus aussi énormes que dans les années précédentes, malgré l'envolée des ventes de mp3 qui ne coûtent rien (pour eux) mais si cher (pour nous). Déjà, il y a quelques moins, Maxime Le Forestier avait traité les anti-Hadopi de pétainistes. (Du coup, Maxime joue à la Fête de l'Huma ce week-end, où il ne risque pas de rencontrer des gens qui sont pour le partage de la culture, ces fachos.) Alors, il fallait filer la métaphore. Christophe Lameignère, patron de Sony France et président du Syndicat National de l'Edition Phonographique, a vaillamment déclaré que « ces gens-là, ils auraient vendu du beurre aux Allemands pendant la guerre ». Et quand certains citoyens veulent savoir quels députés vont voter pour la loi, en tant que représentants de la nation , « ils proposent de faire le outing des députés qui vont voter cette loi, vous vous rendez compte ? Ils dénoncent ! Ce sont des gens qui sont dans le principe de la dénonciation. Et je pense qu'il faut le dire, il faut le dire qu'on ne peut pas avoir confiance dans des gens qui dénoncent. » C'est tellement beau, je ne savais même pas que le concept d'assimiler désir de transparence démocratique et délation par des collabos pouvait exister. Cependant, en prenant un sens plus raisonnable de "dénoncer", on ne peut dénoncer que ce qui est honteux ou scandaleux, en cela il n'a pas tout à fait tort.
En termes geek, cela s'appelle gagner un point Godwin: dans un débat, le premier qui compare son adversaire aux nazis (ou assimilables) perd. La loi de Godwin stipule qu'un débat sur internet qui s'éternise voit la probabilité de la distribution d'un point Godwin tendre vers 1. Un autre petit nom est celui de l'argument fallacieux ad Hitlerium.
En tous cas, si son discours ne donne pas envie aux Français de se ruer pour acheter des disques, pour lui faire plaisir, je ne sais pas ce qu'il faut, la cause est perdue. Le monsieur n'a pas du bien lire toutes les études qui montrent que les gens qui piratent le plus sont ceux qui dépensent le plus en produits culturels...

Respirons. Pendant que l'industrie du disque meurt interminablement, et avec si peu de grâce, d'autres gens essaient de trouver des pistes, des solutions possibles. Mardi dernier, a été fondée la SARD, Société d'Acceptation et de Répartition des Dons. Le principe est simple: c'est un organisme indépendant qui peut accepter des dons destinés à des artistes. Cela peut permettre à des particuliers de donner quelques euros par ci par là à des artistes distribuant gratuitement leurs oeuvres sous licence Creative Commons, par exemple, mais aussi à tout artiste (même signé sur un label) qui voudra bien s'inscrire. Après tout, donner à l'artiste 3€ directement lui remplit plus les poches qui si l'on achète son CD 20€.

RMS, qui sait très bien rester flou ou fermer les yeux quand je le prends en photo.

Le concept de SARD met partiellement en oeuvre le concept de Mécénat Global, qui permet à tout un chacun d'encourager les créateurs et de spécifier vers qui se dirigent ses dons. Au lieu d'une loi de répression, de présumé coupable, de surveillance généralisée des réseaux, Richard Stallman,alias RMS, qui tenait une conférence après la création de la SARD, propose des contributions volontaires, constructives, justes. En plus, avec son air sympathique de hamster jovial, et son français enthousiaste, il est difficile de ne pas se laisser entraîner par le propos.
Certains se diront, mais pour faire de la musique, il faut de l'argent, une grosse industrie qui prend en charge les coûts énormes de production, fabrication, promotion, etc. C'est ce qu'on disait des logiciels il y a quelques années, et pourtant Stallman a réussi à lancer le mouvement des logiciels libres. Contre une logique de licences propriétaires coûteuses de logiciels que l'on nous cède temporairement le droit d'utiliser, sans savoir comment le produit marche, ce qu'il fait réellement et n'ayant pas le droit de le partager (Microsoft & Apple), le logiciel libre replace l'utilisateur et le développeur au centre, appelant à la contribution de chacun, dans une clarté totale de principe, dans une liberté totale de partager, modifier, copier, et d'utiliser comme bon nous semble. Le succès le plus flagrant est le noyau Linux, qui fait tourner la machine qui héberge ce blog, qui fait tourner mon ordinateur, qui fait tourner ma Freebox qui me connecte à Internet, et qui fait même fonctionner mon téléphone.
Il est donc possible de construire quelque chose de solide en ne se basant que sur la bonne volonté des gens. Bien sûr, ensuite, les entreprises se rendent compte qu'elles y trouvent leur compte. Des gens comme Radiohead ou Nine Inch Nails ont montré que non seulement c'était faisable pour la musique, mais que ça peut également être très rentable. Au lieu d'assister à tout prix une industrie du disque mourante à juste titre, le gouvernement serait plus avisé de trouver des pistes permettant de généraliser ce type de processus qui, contrairement à la loi Hadopi, bénéficie réellement aux artistes.