Des groupes dont tu n'as jamais entendu parler II

Il est temps, après avoir critiqué les médias et les maisons de disques pour le hold-up qu'ils réalisent sur la création musicale, de faire la promotion de quelques personnes dont tu n'as jamais entendu parler.

Commençons par Dirty Projectors, le groupe d'un monsieur très brièvement vu en première partie de concert de Beirut (j'y reviendrai). En effet, n'ayant pas donné de signe de vie, les programmateurs du concert avaient fait appel à un autre chanteur, quand, in extremis, il arrive avec deux chanteuses, juste avant que Beirut lui-même n'entre en scène. La guitare à gauche, remontée sous les aisselles, le regard perdu, criant sur son micro, il n'a pu jouer qu'une seule chanson, d'une intensité étonnante. Après vérification en écoutant ses albums, Dirty Projectors est en effet un groupe à part. Mêlant à la fois des arrangements de violons et une sonorité très low-fi pour sa guitare et son chant, Dave Longstreth paraît être toujours un peu à côté de sa mélodie, se prenant lui-même en contrepied; et pourtant le résultat final est saisissant, à la fois brut, pathétique et superbe.
Beirut ensuite, est plus connu, et mérite son succès naissant. Sous ce nom se cache Zach Condon, que j'aurais pris pour lycéen usurpant la scène, s'il n'avait été entouré de tous ces cuivres, accordéon, violons; s'il ne composait et chantait de vibrantes chansons teintées d'influences de l'Est; et s'il ne se payait pas le luxe de reprendre Brel en concert sans faire se retourner le grand homme dans sa tombe. C'est déplacé de faire se retourner les grands hommes dans leur tombe, car, comme le faisait remarquer à un concert l'excellent Bertrand Belin, ce n'est pas pratique pour eux, avec leurs genoux et coudes qui sont tombés en poussière.
Un peu plus vieux mais toujours aussi élégant et raffiné, il faut écouter l'album solo de Beth Gibbons, la chanteuse remarquable de Portishead (qui par ailleurs s'apprête à sortir, enfin, un troisième album). Sa voix réussit à être à la fois légère et sautillante, et langoureuse, comme une plainte douce sur une chanson épaisse.
Enfin, pour revenir à des gens vus en concert, il faut découvrir The Blow, nom de scène d'une jeune femme qui passe son temps à raconter sa vie, ses attentes, ses rencontres, continuant parfois son récit par une chanson, sautillant sur place; si l'album Paper Television est plus électronique et plus pop que les groupes précédents, il n'en reste pas moins terriblement efficace et même touchant.
The Blow avait ce soir-là fait place à Deerhoof, trio étrange composé d'une chanteuse asiatique très petite, d'un guitariste perdu dans ses pédales, et d'un batteur exceptionnel qui a faillit détruire tout son matériel dès la première chanson. Il a quand même réussi, à force de taper comme un malade sur son instrument, à faire se retourner et plier en arrière à plusieurs reprises son charleston. Je lui ai serré la main à la fin; il était ruisselant de sueur et son énorme paluche glissait, et il m'a assuré ne pas être un psychopathe. A noter que de tous les groupes que j'ai eu le plaisir de voir en concert, Deerhoof est le seul qui se soit livré à une distribution de bonbons en guise d'entracte. Quoiqu'il en soit, leur musique est très originale; dissonnante, décousue, entraînante ou déconcertante.

Oui, forcément, si tu veux de la musique conventionnelle, bien lisse et creuse, c'est raté. Tu peux essayer ici, par contre. Ou . Ce n'est pas conseillé, cependant. L'abus de médiocrité nuit à la santé.

Automne.

C'est l'automne. La lumière s'affaiblit, la brume monte, et les arbres, dans un soubresaut de souffrance orangée, perdent leurs feuilles par centaines. Spectacle apaisant de ces allées rougies par les feuilles mortes volant au vent; en fermant son manteau, préservant ainsi autour de soi un peu de la chaleur estivale, l'on peut regarder sereinement la nature s'endormir encore une fois, en l'attente d'une nouvelle renaissance.
Et pourtant, ces grandes avenues recouvertes de toutes sortes de teintes, du rouge vif au vert à peine roussi, sont le lieu privilégié d'une terreur saisonnière: celle de la déjection canine furtive. Délaissant les tactiques millénaires des déjections rurales, l'excrément urbain a su s'adapter à la vie moderne; quittant les champs et les chemins de terre, il s'est réfugié dans les villes, où il a su appliquer les règles de la guérilla urbaine. Tel un ninja malodorant, la fiente canine se camoufle, se terre, se dissimule. Sous les feuilles mortes qui rappellent au passant le cycle de la vie, le caractère éphémère de l'existence et la valeur de chaque instant, se cache ainsi une menace glissante d'une nature des plus douteuses.
Malheur à qui sous-estime le pouvoir de dissimulation de ces nuisibles créatures! Dans un excès de confiance, l'insouciant courra sur le trottoir, dans les parcs, dans les rues piétonnes; lorsque la déjection canine frappera, il n'aura comme récompense qu'une demi-seconde de panique, la surprise du choc de la chute, et l'amertume de longues soirées d'hiver solitaires passées à dessiner rageusement sur son nouveau plâtre. Le pied à peine posé sur une large feuille mouvante, le flâneur avisé, lui, saura reconnaître le flottement caractéristique, et pourra esquiver l'irréparable, avant d'avoir appuyé tout son poids sur la feuille susmentionnée.
Méfie-toi, innocent quidam de la rue: sous la splendeur de la nature qui s'embrase avant de mourir, se dissimule un vieil ennemi, toujours aux aguets, toujours décidé à frapper. Sois averti. Sois prêt.

Résistance musicale.

Comme mentionné plus tôt, Radiohead a sorti un nouvel album la semaine dernière. Comment décrire ce groupe à ceux qui ne l'auraient jamais écouté? Si ils étaient une chanson énervante que l'on ne peut sortir de sa tête, ils seraient Le Petit Bonhomme en Mousse. S'ils étaient un cuisinier seul dans un bateau envahi par des terroristes, ils seraient Steven Segall. S'ils étaient gros et consensuellement gentils, ils seraient David Douillet.
Les voilà donc revenus avec cet album, qui d'après certaines sources, aurait été téléchargé 1,2 millions de fois le premier jour, secouant l'industrie de la musique de façon sensiblement plus notable que le retour de Francis Lalanne dans la chanson.
Cet après-midi, j'ai dû casser ma compulsive écoute en boucle de cet album pour mener diverses opérations dans les entrailles de mon ordinateur. Ne pouvant plus ainsi profiter de la musique choisie et aimée, résidant exclusivement, n'en déplaise à M. Nègre, sur mon PC, je me suis résolu à prêter l'oreille à la musique subie et qui pique les yeux, en zappant sur les différentes chaînes de musique proposées par Free.
Un flux constant de musique consensuelle ou consensuellement rebelle a alors déferlé sur mes oreilles. Je suppose que la musique, disons plutôt les produits commerciaux diffusés dans les média de masse sont un peu comme la grippe: quand on y est exposé de façon répétée, on se construit une sorte d'armure, d'immunité, et alors ils nous glissent dessus dans l'indifférence. Ayant passé les 15 dernières années à me protéger d'une telle affliction, le choc a été rude pour mes oreilles innocentes et non préparées à un tel assaut.
Toujours les mêmes clips, les mêmes femmes peu vêtues et dont le fessier protube devant la caméra, les mêmes interprètes, les mêmes mimiques, la même langage, le même style visuel, et très souvent, les mêmes samples misérables en fond. Mention spéciale pour le clip de Tony Parker, qui devrait se contenter de faire perdre l'équipe de France de basket, car il faut avoir que cet homme est aussi doué pour faire du rap que moi pour le breakdancing. Et j'aimerais préciser que je suis tellement peu souple que même mon coude ne plie pas. Attention, je ne blâme pas le genre musical, juste les médiocres qui s'y adonnent. Quiconque visite ma page last.fm verra le génial MF DOOM en bonne position dans mes écoutes.
Et ce n'est rien comparé à ce qui nous attend. D'après Voici, Garou et Lorie vont se marier. Combinant le pire des inintéressantes, lourdes, et commerciales comédies musicales, et le pire des produits préfabriqués pour adolescentes prépubères, ce mariage, d'où sortira peut-être des enfants, lesquels se sentiront obligés de faire de la musique, porte en lui les germes d'une chanson de variétés française toujours plus misérable, toujours plus plate, toujours plus lisse.
A côté de ces gens creux, qui, s'ils avaient été des légumes, auraient été des endives, loin des chaînes de télévision qui s'auto-proclament "de musique", loin des radios qui ne passent que ce que les maisons de disques leur disent de passer, il y a encore des gens qui se battent. Vendredi soir, accompagné d'un gros monsieur qui ne fait que des petits dessins et d'un autre, qui, si j'ai bien compris, est payé pour se faire offrir des saucissons par des corses, j'ai eu ainsi le plaisir d'assister au concert d'Ani DiFranco dans notre belle capitale. Hamail on Trial, en première partie, est un gros monsieur suant et racontant avec force et véhémence au-dessus de sa guitare acoustique comment, jeune, il a tout fait pour rencontrer son idole John Lennon, et qu'à cette occasion il a été poussé contre lui, et que les seuls mots que l'homme qu'il admirait par-dessus tout lui a adressés ont été "Fuck off", que l'on pourrait traduire par "passe ton chemin, laisse-moi en paix"; ou encore comment un ami, pêchant en plein mer une caisse remplie de sacs de poudre blanche, en avait sniffé une ou deux lignes avant de se rendre compte qu'il s'agissait d'une urne funéraire; ou encore sa relative dissatisfaction envers les dirigeants de son pays et de sa proposition de placer la tête de son Président sur un pique. Ani DiFranco, un peu plus calme, le sourire aux lèvres, chante ensuite les espoirs d'une classe populaire désespérée par une démocratie américaine qui ne fonctionne pas, les souffrances silencieuses de ceux dont on ne parle pas.
Autant dire que ces gens, aussi doués soient-ils, ne passent pas à la radio. Ni à la télé. De voir un tel décalage entre ces gens qui ont du talent, et des choses à dire, et le flot continu de niaiseries toutes similaires déversé dans les média me fait inévitablement penser, dans ma paranoïa orwellienne, au Ministère de l'Information de 1984, dont l'un des rôles est de maintenir les machines qui écrivent automatiquement les romans, composent automatiquement la musique, à destination de la plèbe. Le but étant de l'étouffer sous des produits culturels de qualité misérable, mais sans contenu, sans clé de réflexion. De l'art sans âme, sans artiste, dans le seul but de noyer les miséreux dans des préoccupations futiles.
Bon, j'arrête, c'est l'heure de Plus Belle la Vie. Il faut bien s'occuper entre les saisons de la Star Academy.


Les neurologues et leurs casques du démon

Cela faisait longtemps que je n'avais pas parlé de découvertes désagréables, et longtemps, c'est trop longtemps. Certains messieurs, dirigés par un M. Persinger, ont passé nonnes, moines boudistes et autres religieux sous le regard cru d'instruments de mesures perfectionnés. De ces investigations est ressortie la conclusion que le sentiment religieux est parfaitement identifiable lorsque l'on scrute l'activité du cerveau. Certains endroits de notre admirable organe gris et gélatineux, une fois stimulés, inspirent ainsi au type qui leur est relié une proximité avec le divin. Il ne restait plus qu'un pas à faire: construire à casque à Dieu.
Cet appareil, une fois attaché à la tête, stimule précisément les zones du cerveau susmentionnées. Les gens qui y sont soumis parlent d'une présence invisible, d'une union avec l'univers, de félicité; choses traduites ensuite selon la culture des cobayes -- Dieu, Bouddah, et tout ces autres types. Conclusion de Persinger: le sentiment religieux provient d'une anomalie électrique du cerveau; et Moïse, Saint Paul, Mahommet, tous ces gens avaient juste des neurones reliés un peu bizarrement.
Bon, au moins cette fois-ci, aucun parasite n'est impliqué. C'est déjà ça.

Radiohead, sauveurs de la musique

Tous ceux qui suivent l'actualité de Radiohead savaient que leur prochain album était enregistré. Ils savaient aussi que le groupe n'avait pas de contrat avec une maison de disque, et que l'album ne sortirait pas avant courant 2008.
Ce matin, royalement, Radiohead annonce sur son blog qu'il a fait un album, et qu'il sera disponible dans 10 jours.
En soi, ce billet sur leur blog est incroyable. Pour rappel, voilà le schéma habituel:
  • Un groupe signe chez un label
  • Il enregistre un album, le label a très souvent son mot à dire dans la production, et ce qui figurera sur l'album ou non.
  • L'album terminé, il est annoncé. La date de sortie est fixée par la maison de disque de façon à permettre la publicité, la distribution, et encore de la publicité. Et aussi de façon à ne pas entraver d'autres sorties simultanées, pour occuper le calendrier de façon à rentabiliser au maximum l'exposition/les profits.
  • Trois mois avant la sortie, l'album se retrouve sur internet.
Cette fois-ci, on a:

  • Un groupe sans label enregistre, produit et distribue quand il le souhaite, comme il le souhaite, et pour combien il le souhaite, le fruit de son travail.
Cela s'appelle, pour l'artiste, maîtriser son travail; pour le mélomane, pouvoir écouter l'artiste en toute simplicité et en étant sûr qu'il est dûment rémunéré pour son effort; et pour l'industrie du disque, un cauchemar.

Ce n'est pas fini: montrant bien qu'ils ont tout compris aux attentes de ses fans, Radiohead décline son offre ainsi:
  • Soit un téléchargement légal, sans DRM, le 10 octobre, pour un montant que FIXE A SA GUISE,
  • Soit un pack contenant le CD, un second CD, les deux vinyl correspondants, et des livrets, ainsi que le droit au téléchargement.
Nous avons donc une première offre qui permet à chacun d'avoir accès à l'album, en donnant à l'artiste ce qu'il lui semble juste; et une seconde, plus complète, destinée aux fans. Tout le monde est content. Sauf la maison de disque, qui est complètement coupée du circuit. C'est précisément cela qui terrorise cette industrie depuis quelques années: ils sont devenus un intermédiaire de plus en plus inutile; et les labels savent que la tendance ne va pas s'inverser. Alors dans ces cas, mieux vaut culpabiliser ses propres clients et crier au vol plutôt que se remettre en cause.

En tous cas, je salue bien bas Radiohead, qui tout en faisant un geste envers ses fans, fait un bras d'honneur à l'industrie parasite de la musique.