Congrès

Le congrès du PS a été tellement misérable que ce n'est même pas drôle. On attend bien sûr des socialistes qu'ils se détestent tous entre eux, qu'ils se lancent des phrases assassines, et qu'ils n'aient pour référence et point d'appui que le passé idéalisé, mais quand même.

A ce propos, Ségolène Royal a d'ailleurs lancé un "Ca vous dirait, un nouveau front populaire?" devant les militants, soulignant que la gauche, même dans son imaginaire, n'estime pas avoir fait grand-chose depuis 70 ans, à croire que tous ont oublié un certain Mitterand, il n'y a pas si longtemps. C'est étrange, surtout quand l'on pense que Delanoë a été remarqué par Tonton et que Royal et Aubry ont été ministres sous sa présidence. Mais passons.

Malgré toutes les dissentions, d'habitude quelqu'un, après avoir marché sur la tête des autres, sort vainqueur des débats, ou au moins parvient à obtenir un compromis mou qui ne fâche personne. Là, même pas. Delanoë a beau eu taper sur la table et crier, il a préférer se retirer dans la posture digne du type déçu mais intègre, pour qu'on pense à le rappeler plus tard, en 2012, quand les choses iront encore plus mal. Hamon, fort de ses 19%, devient tout à court le type le plus cool et le plus important du monde, si on l'écoute tout du moins. Aubry et Royal rivalisent de platitudes, faute d'idées. "Il faut un parti socialiste fort, il faut tous être unis!" entend-on partout. Tous unis derrière moi, est sous-entendu.

Pourtant il y a des différences. Royal ne cesse de répéter qu'elle veut incarner la nouvelle génération du PS, qui doit balayer les vieux. C'est vrai que Delanoë et Aubry ont quand même 3 ans de plus qu'elle, place aux jeunes les grabataires! Mais pas trop quand même, pas comme Hamon. Enfin, si j'ai bien compris, Royal veut être élue, mais délèguera la gestion quotidienne du parti à Peillon. Votez pour moi, pour que quelqu'un d'autre puisse faire mon travail. D'un côté ce n'est pas plus absurde que d'élire maire un ministre ou un député.

Derrière Royal, rigide, le front plissé, Manuel Valls se positionne pour la caméra. Depuis des mois, il martèle sans relâche le bon diagnostic: le PS va mal, il faut faire quelque chose, il faut le repenser et le guérir. Avec Moscovici, il semblait pouvoir arriver à faire un peu bouger les choses. Et puis voilà, voilà qu'à la Rochelle tous les bons amis de Mosco préfèrent manger dans l'assiette d'Aubry, et c'est la débandade, et Valls retourne se réfugier dans les jupons de Royal. C'est un homme intelligent, il doit savoir qu'elle est une partie du problème, et pourtant il n'ose pas se démarquer, avancer tout seul. C'est lui qui a annoncé la candidature de Royal au poste de secrétaire, il avait les sourcis froncés comme si ses propres paroles le mettaient en colère. C'est le plus décevant de tous parce que c'est un des seuls qui donnaient un peu d'espoir.

Laurent Delahousse, le présentateur intermittent du JT de France2, nous plaît beaucoup, à la bien-aimée et à moi-même, depuis qu'il a eu le cran dans une interview avec Bachar El-Assad de lui demander pourquoi contrairement à ce qu'il avait annoncé, la démocratisation de la Syrie n'avait pas eu lieu. Sous ses airs de gendre lisse, avec sa mèche blonde et ses dents de pub de dentifrice, lorsqu'il veut poser une question, il le fait et il ne lâche pas. Il interrogeait Cambandélis depuis le congrès, et il lui a demandé pourquoi le PS avait attendu si longtemps pour en arriver là, pas plus avancé, et comment ça se faisait qu'il faudrait attendre, encore et encore. Bien sûr, Cambadélis n'a pas répondu, mais c'est la question que je me pose depuis le 22 avril 2001, depuis que Jospin, vexé, est sorti en boudant.

Cela fait 7 ans que le PS ne sait pas où aller, et attend juste que la roue tourne, surtout sans rien changer. Le malheur est que la gauche gagne parfois des élections mineures, et interprète ça immédiatement comme un signe que les grandes élections vont automatiquement tomber dans son escarcelle la prochaine fois. On se félicite, on s'auto-congratule. Et au lendemain des défaites aux présidentielles ou aux législatives, on annonce, grave, que le parti doit mieux répondre aux attentes des français, et puis on attend les échéances suivantes, surtout sans rien changer. Le PS appelle ça l'esprit de compromis, et loue François Hollande pour l'avoir tenu si haut tout au long de cette longue suite de défaites.

Alors, en face, la droite se marre, elle rigole tellement qu'elle ne se rend pas compte qu'elle est étouffée par Sarkozy tout autant que la gauche. Tous nos beaux ministres, aussi efficaces que des palourdes, se détournent quelques secondes de leur occupation principale, plaire à Sarkozy, pour railler la désunion du PS. Delahousse -- encore lui -- l'a très bien laissé paraître ce soir dans son journal, dont l'invitée était Christine Lagarde, concernant le sommet du G20. "Elle a tout vu, elle a tout entendu, elle va tout nous dire", a-t-il annoncé, pour bien montrer, tout en souriant de façon irréprochable, que Lagarde n'en a pas foutu une à Washington. Pour bien enfoncer le clou, toujours le sourire aux lèvres, il a d'ailleurs commencé par lui demander pourquoi elle prenait des photos des copains pendant le sommet, avec vidéo à l'appui.

C'est cela la politique en France ces temps-ci: pendant que la gauche se déchire au lieu de se rendre compte qu'elle n'a rien à dire, la droite ne pense qu'à rester dans le sillage du président, sur la photo. Mais tout espoir n'est pas perdu: peut-être que nos amis américains voudront bien nous prêter Barak, même quelques jours?


Choses aléatoires

C'est l'hiver encore une fois. Il fait nuit le matin, néon le jour au travail, et nuit le soir: le risque de surproduction de vitamine D est enfin écarté. La nuit est claire et la lune pleine: les petites bourrasques de vent froid, qui s'engouffrent dans les larges fentes de mes fenêtres antédiluviennes, font frémir mollement mes lourds rideaux, comme une invitation au rhume.

L'hiver arrive et il est décevant: c'est la crise, il pleut, et il n'y a plus rien d'intéressant à suivre dans l'actualité depuis qu'Obama a réussi l'impossible, et en attendant fin janvier qu'il commence sa besogne. Bush a passé plus d'un jour ouvré sur trois en vacances, pendant ses huit ans de présidence, et pourtant pour une fois, on aurait bien aimé qu'il parte encore un peu, et qu'il laisse les clés sous le paillasson.

Même le congrès de Rheims ne va pas être digne d'intérêt. Ce week-end, le PS s'apprête à se conforter sereinement dans les ornières de la défaite, qu'il refuse obstinément de quitter depuis que Jospin a jeté l'éponge. Pourquoi faudrait-il changer une équipe qui gagne si bien les élections cantonales, sous prétexte qu'elle perd les présidentielles, les législatives et les sénatoriales? La crise est oubliée par le premier parti d'opposition de France, qui préfère s'entre-déchirer pour se disputer les parts d'un délicieux gâteau qu'ils n'ont même pas.

Il pleut et il fait gris, alors dans le bus, dans le train, dans mon fauteuil ou sur le canapé, je lis. Après avoir compris avec Dawkins les mécanismes d'une théorie élégante de l'évolution centrée sur les gènes, après avoir appris de Dennett que la conscience n'est qu'une illusion qui habille une abstraction des traitements d'informations en série dans notre cerveau qui a une architecture massivement parallèle, après avoir suivi avec Conrad les déboires d'un pays d'Amérique centrale imaginaire, rongé par les avidités et les ambitions, et après un détour dans l'univers au croisement improbable de Ian Flemming, Neal Stephenson et H.P. Lovecraft concocté par Charles Stross, me voilà plongé dans les mines de charbon de Germinal. C'est qu'on a le temps de s'instruire et de voyager, quand on refuse de faire du sport et qu'on considère qu'une nuit de cinq heures est un grand maximum.

Ansi, je continue, 130 ans après tout le monde, à découvrir Zola. Dans son écriture faussement détachée, il couche crûment sur le papier la misère et le désespoir de ses personnages enlaidis par leurs propres travers et par la machine qui les écrase. Une femme est décrite comme "affreuse, les seins sur le ventre et le ventre sur les cuisses", ce qui est très cruel, et dont la progression me fait penser - tout à fait hors propos, mais je ne suis pas homme à m'offusquer de mes propres parenthèses - à Desproges qui disait, avec son sens acéré de la formule second degré, que les noirs ont "le rythme dans la peau, la peau sur les os et les os dans le nez".

Je concluerai cet article incohérent par une autre citation du susmentionné Desproges, parce que je suis le chef et que je fais ce que je veux:

L'ennemi est bête, il croit que c'est nous l'ennemi alors qu'en fait, c'est lui! J'en ris encore.


Intelligent Design, encore et toujours




Bueller? Bueller? Qui le sait?

Ben Stein, le professeur dans La Folle Journée de Ferris Bueller, est aussi, apparemment, un fervent défenseur de la théorie de l'Intelligent Design, dont j'ai déjà parlé. Pour rappel, l'ID soutient que la théorie de l'évolution ne marche pas, et que la nature est trop complexe pour ne pas avoir été créée par une certaine puissance supérieure. Historiquement, c'est une idée qui est née de la volonté d'imposer l'enseignement du créationisme dans les écoles américaines, sans mentionner explicitement Dieu pour des raisons judiciaires.

Ben Stein a donc fait un documentaire là dessus. Seulement, au lieu d'expliquer ce qu'est l'ID et pourquoi cette pseudo théorie serait juste, et pourquoi le darwinisme serait faux, c'est une heure et demie d'un fantasme du complot enrobée dans une mauvaise foi qui donne plutôt envie de vomir. Entre autres:

  • des scientifiques se font injustement persécuter parce qu'ils défendent l'ID,
  • ne pas mettre l'ID au même rang que l'évolution revient à violer la liberté sur laquelle est fondée les USA (Ben Stein se promène, grave, au milieu des tombes des soldats de la seconde guerre mondiale pour bien montrer qu'ils sont tous morts pour rien si on ne l'écoute pas),
  • les scientifiques ne comprennent rien à l'ID parce qu'ils croient que c'est de la religion cachée alors qu'il n'en est rien en réalité, c'est promis,
  • soit dit en passant tous ces scientifiques sont des sales athées, contaminés et corrompus par le darwinisme et qui veulent convertir les petits américains vers le paganisme le plus effrayant qui soit,
  • les darwinistes sont aussi bornés, violents, et intransigeants que des communistes. A cet effet, le film est entrecoupé toutes les 10s d'images d'archives du mur de Berlin, de chars qui défilent dans les rues, de combats urbains,
  • l'euthanasie et l'avortement sont des plans machiavéliques des darwinistes pour débarrasser la société de ses éléments faibles, et le planning familial est de l'eugénisme,
  • apparemment, c'est Darwin qui a soufflé à Hitler l'idée de l'Holocauste. Ben Stein, pour bien montrer cette idée, va à Dachau, va dans un asyle où des handicapés se faisaient gazer, montre des images d'archives de corps empilés. Ce subtil argument ad hitlerium final est le nauséabond point culminant du documentaire.

Le film est bien produit, a une belle photographie: il y a de l'argent derrière tout cela. Combien de jeunes américains vont devoir regarder cela, terrorisés, sans s'apercevoir que son discours est incohérent et dangereux?

L'Intelligent Design est une anti-théorie: elle n'apporte pas d'explication, mais postule une réponse toute préparée vers laquelle on doit retomber systématiquement, par défaut d'imagination. Je ne sais pas expliquer ceci, c'est trop difficile, alors forcément c'est parce qu'il y a un être magique qui est à son origine. L'Intelligent Design est improuvable car elle n'avance rien qui puisse être prouvé: c'est trop dur de chercher, alors on arrête tout, et on postule que si c'est si difficile, si on n'y arrive pas sur le moment, c'est qu'il n'y a pas d'explication, pas de mécanisme à trouver, puisque tout vient d'une toute-puissante et mystérieuse force extérieure. Etrangement, les tenants de l'ID ne cherchent jamais à expliquer cette force extérieure, car ce n'est qu'un déplacement de la difficulté: pour contourner un problème complexe, on lui substitue un autre encore plus mystérieux puisque totalement inconnu et indéfini. Ce qu'ils ne disent pas, c'est qu'ils ont une petite idée de qui est cette force: c'est Dieu, évidemment, mais il ne faut pas le dire tout haut pour pouvoir rentrer dans les programmes scolaires américains. C'est une bonne blague, parce que c'est un secret de Polichinelle, bien que certains esprits malins soutiennent avec les mêmes arguments que la force conceptrice du monde n'est pas Dieu, mais le Monstre de Spaghettis qui Vole (FSM).



Et certains états du Sud des USA intègrent déjà dans leur cursus l'enseignement de l'ID, à égalité avec la théorie de l'évolution. Ah, la belle génération qui nous est promise!

Ce qui se joue, c'est la défaite de l'intellectuel face à l'obscurantisme. C'est Sarah Palin, qui dans le même discours, soutient qu'il faut aider les enfants handicapés, et qui ensuite dit qu'il est scandaleux que l'état finance des recherches sur les drosophiles... qui ont précisément pour but de mieux comprendre le fonctionnement du système nerveux, ou de certains gènes, ce qui a pour conséquence au final de pouvoir aider ces enfants handicapés! Ce sont les télévangélistes qui crient qu'il ne faut pas chercher les raisons de l'ouragan Katrina dans la climatologie mais dans la dépravation de la Nouvelle-Orléans. Ce sont des groupes qui prient devant un veau d'or (!) à New York pour que Dieu reprenne le contrôle de Wall Street.

Ces gens sont au pouvoir.

Ces temps-ci je lis assidûment Richard Dawkins et Daniel Dennett, c'est passionnant, et à la lumière de tout ce que je viens de décrire, un peu de Raison, c'est extrèmement rassurant.