Hadopi, les débats

L'assemblée nationale diffuse en direct, en streaming, les débats sur la loi dite Hadopi.

C'est le spectacle le plus désolant que j'aie vu depuis longtemps. Il semble que les rares députés de la droite (hormis le courageux Tardy), ainsi que le rapporter Riester et la ministre Albanel, vivent dans une réalité alternative, où Internet est contrôlable à volonté, où les mesures techniques sont toutes réalisables, et où le bon sens est une théorie qui fait pouffer, et où la culture, ce n'est pas les artistes, mais les épiciers qui vendent leurs oeuvres.

Pépite vue toute à l'heure, pendant la discussion d'un amendement (évidemment rejeté) de la gauche qui visait à forcer l'Hadopi, avant de banir d'Internet un quidam, de vérifier auprès des auteurs de l'oeuvre piratée qu'ils ne l'ont pas distribuée libre de droit. Albanel: "Mais vous n'y pensez pas? Vous réalisez à quel point ça serait compliqué si pour chaque décision il fallait vérifier que les ayants-droits n'ont pas cédé leurs droits?"

Donc on peut se faire jeter d'Internet, parce que vraiment c'est trop compliqué de regarder s'il y a réellement matière à se faire jeter d'Internet. Le téléchargement est illégal du moment où il ne vient pas de fnac.com. Tant pis pour les artistes qui proposent leur musique gratuitement sur leur site...

Déjà, hier soir, c'était rigolo. L'assemblée et le gouvernement ont rejeté des amendements visant à assurer la représentation des internautes dans la comission Hadopi, et même rejeté qu'un membre de la CNIL soit nommé. Ils ont ensuite ignoré toutes les remarques de la gauche et de Tardy sur les impossibilités techniques des écoutes électroniques prévues par la loi et sur la nécessité d'avoir un juge dans la boucle.

Mais bon, la loi va passer. Nous allons pouvoir bientôt nous faire jeter d'Internet, sans décision de la justice, et sans même savoir exactement ce qui nous est reproché. Le délit? Défaut de sécurisation de ligne Internet. Quand on pense que même les ministères abandonnent le WiFi car leurs services techniques n'arrivent pas à le sécuriser totalement, bonne chance M. et Mme Toutlemonde!

Ce qui ressort de plus frappant dans ces débats qui n'en sont pas --- la gauche essaie d'expliquer l'impossibilité et les dangers de la proposition de loi, et la droite ne répond pas --- c'est d'après les réflexions de la ministre son inconcevable incompétence technique. Sa solution contre le cryptage des réseaux pirates? Un "contre-logiciel"! C'est si simple, il suffisait d'y penser, contrairement à ces blaireaux de la lutte anti-terroriste qui mettent des semaines à casser un cryptage, s'ils y arrivent!

En tous cas, merci messieurs Bloche et Paul pour vous être penchés sur la question et être au moins au courant de ce qui est possible ou non techniquement.

Allez, une dernière blague: les députés viennent d'adopter un amendement pour instaurer une discrimination positive de certains sites dits de téléchargement légal dans les moteurs de recherche! Allô Google, en Californie? Montez la FNAC dans vos recherches, brisez la neutralité d'Internet parce que le gouvernement français sait mieux que le peuple ce qu'il doit savoir et quel site il doit visiter! Allez Microsoft, Yahoo, Excite, Baidu, même chose! Ils sont désagréables, tous ces gens, d'être à l'étranger.

C'est incroyable de voir quels principes sont cassés pour le seul compte d'une industrie des médias qui refuse de se moderniser, qu'est-ce qu'on va prendre quand il s'agira de voter sur une loi sur la sécurité ou le terrorisme!

Les débats reprennent à 21h30. Je ne sais pas si j'aurai le courage de regarder autant de mauvaise foi, d'ignorance inexcusable, et de volonté incompréhensible de contourner l'état de droit.

Bougonneries multiples.

Le monde de la musique va mal.

Tout d'abord, à partir de la semaine prochaine, les radios de Last.fm, site tant chéri, vont devenir payantes pour tout le monde, sauf les USA, l'Angleterre et l'Allemagne. C'était bien tant que ça durait, mais le last.fm que je chérissais, celui centré sur des gens qui partagent leurs goûts musicaux, est mort. L'entreprise last.fm est en marche, la communauté n'est plus centrale mais un outil pour se faire des gros sous. Tout le monde devra payer pour écouter, sauf les trois pays chouchoutés, la somme de 3€ par mois. Cela peut paraître encore peu pour nous bons français, mais nos amis mélomanes de pays moins riches l'ont mauvaises. Un commentateur de la décision sur le site lui-même disait qu'habitant en Roumanie, son loyer mensuel était de 30€, ce qui donne une idée de ce que représente 3€ pour lui. Qu'importe! le précieux marché anglo-saxon est préservé. Last.fm, je suis déçu.

Et ensuite, je tombe sur ça. C'est le dernier clip de Chris Cornell. Oui, cette bouse monstrueuse, ce RnB de supermarché saupoudré de fiente commerciale, est dans le dernier album de celui qui a été le leader et chanteur de SoundGarden et plus récemment d'AudioSlave. Les bras m'en tombent. Cornell, une des voix les plus intéressantes et originales au monde, qui tombe dans ce gouffre de médiocrité? C'est quoi la suite? Thom Yorke en duo avec Garou? Mick Jagger qui reprend le Petit Bonhomme en Mousse? Le coeur serré, je ne peux que refaire tourner dans Amarok SuperUnknown, la pépite de SoundGarden, dont le CD, du temps où ces choses existaient encore, s'est usé si longtemps dans ma chaîne HiFi.

Et puis, même si ça n'est pas de la musique, le Conseil des Droits de l'Homme de l'ONU a voté une résolution qui condamne "la critique de la religion" comme violant les Droits de l'Homme. Je ne sais pas pourquoi, apparemment tout le monde s'en fout, j'ai dû creuser dans les méandres de l'Internet pour trouver cette information aberrante.

Allez, promis, je ne vais même pas mentionner comment le pape en voyage en Afrique annonce que le seul moyen efficace de lutte contre l'épidémie de sida, pour une raison magique non communiquée, "aggrave le problème", sans doute parce qu'il pense encore que c'est la maladie du péché et qu'il n'a pas compris que c'est juste la maladie de la pauvreté et du manque d'éducation.

Et comme décidément le monde est mal fait, le site officiel de Jean Sarkozy, jeansarkozy.org, ne va plus sur sa délicieuse page personnelle mais sur celle des élus des Hauts-de-Seine de l'UMP.

Et puis l'excellente série Battlestar Gallactica est finie, ça y est, il n'y a plus de série de SF en existence qui n'est pas tellement ringarde qu'elle fait regretter la Chance aux Chansons.

En parlant de ringards, et pour finir, les choses vont être drôles pour le vote de la loi dite "Création et Internet" cette semaine: le seul autre pays au monde qui avait la bêtise de préparer une loi similaire l'a abandonnée, et le parlement européen a réaffirmé la semaine dernière que le droit à l'accès à internet était indissociable du droit à l'éducation et que par conséquent personne, ni entreprise ni état, n'avait le droit de couper l'accès internet à quiconque. Oups! La loi qui sera sans aucun doute votée le 31 mars sera donc dès sa naissance en contradiction avec les règles européennes, donc inapplicable. C'est drôle, la politique.

Non, allez, encore une: la police britannique a lancé une formidable campagne de sensibilisation, pour inciter la population à la délation. Il faut voir leurs posters, ils valent le coup d'oeil. L'un d'eux dit, à côté d'une photo d'un centre commercial: "une bombe n'explosera pas ici, parce que quelques semaines plus tôt un client a dénoncé quelqu'un qui étudiait les caméras de surveillance". Je prends note, si un jour je vais outre-Manche, de ne jamais regarder les omniprésentes caméras dans les yeux, sous peine de me prendre une balle dans la tête. C'est tellement dommage. Dans le métro, quand je vois une caméra et que je suis raisonnablement seul, je ne manque jamais de faire une grimace pour égayer la soirée d'un surveillant blasé devant ses petits écrans noir et blanc. Je suis joueur.

Un peu de littérature que diable III

Allez, on continue.


11. Fahrenheit 451
, Ray Bradbury
J'en ai toujours voulu à Ray Bradbury, sans savoir pourquoi. Peut-être parce que dans ma jeunesse les profs de français me disaient de ne pas lire de la science-fiction, ou à l'extrême rigueur Orwell ou Bradbury. Ayant surmonté mon aversion pour le premier, je me suis tourné vers le second. Bien sûr, tout le monde connaît ou doit connaître cette histoire du pompier dont le métier est de brûler les livres. Je ne vais pas en rajouter plus, si ce n'est que malheureusement Fahrenheit 451 n'est pas aussi incisif que 1984: ce livre reste plus une fable, un pamphlet, quand 1984 est une analyse crue et prophétique de la société moderne, l'équivalent littéraire du coup de boule dans les parties. Mais décidément, les dystopies, c'est mon dada.



12. The Ophiuchi hotline
, John Varley.
Voilà un court roman de science-fiction qui a le mérite d'être court. Dans le futur, un flux d'informations scientifique venant d'on ne sait où nous tombe dessus, permettant à l'humanité de progresser très vite. Il se passe des choses, et des gens veulent savoir exactement d'où vient tout ça. Pas terrible, à part pour la description des formes de vie dans l'atmosphère de Jupiter, qui est plutôt chouette.





13. Slaughter-House Five
, Kurt Vonnegut.
Voilà un classique de la littérature moderne anglo-saxone qui fait appel à une variante du voyage dans le temps, en oscillant entre plusieurs époques, dont la seconde guerre mondiale, et plus précisément le bombardement de Dresde. Le livre reste plaisant, parfois léger, parfois grave, changeant toujours d'époque mais gardant une certaine acidité un peu désabusée façon Catch-22.





14. L'assomoir, Emile Zola.
Tournant le dos à une vie de refus de lire Zola, je cède à la bien-aimée et me plonge dans l'Assommoir. C'est la claque. Dès les premiers paragraphes, tout le décor de la fin du XIXe se redresse, et étale ses injustices, ses fautes, ses médiocrités. Tous les personnages se traînent dans une pauvreté noire, autant à cause de la société et des difficultés économiques que par leur propre complaisance à rester si près de la fange qu'ils finissent par y retomber inévitablement.
L'écriture est sans faille. Faussement neutre, sans un mot de trop, débordant de mouvement, révélant juste assez pour laisser deviner le reste. Zola est implacable, sans pitié pour ses personnages cassés par nature et qui se font broyer par le siècle. L'hostilité de ses contemporains est compréhensible: le malaise, le dégoût sont toujours aussi palpables malgré une sécurité de près de 150 ans de distance. Où est le Zola d'aujourd'hui? Qui pour dénoncer de manière si précise, impitoyable, et crue les injustices du monde moderne? Voudrions-nous l'écouter?


15. Collected Stories Vol1
, Richard Matheson.
Matheson est des auteurs-clé du fantastique et de la science-fiction du milieu du siècle dernier. Pour mémoire, il a écrit Je suis une légende, qu'il faut lire et non regarder en flim. Il a aussi écrit la nouvelle (non lue par mes soins) dont Spielberg a tiré son atemporel Duel.
Ce livre est un recueuil de nouvelles diverses, et force est de constater que décidément, la science-fiction des années 50 vieillit mal. Les seules choses intéressantes sont plutôt du côté du fantastique, comme l'histoire où un auteur aigri de ne pouvoir rien écrire communique sa rage à sa maison qui en retour le détruit implacablement, à chaque instant.
Mais de façon générale, rien de bien folichon.

Un peu de littérature que diable II


Incroyable, la liste continue, bravant mon inertie légendaire!



6. Altered Carbon
, Richard Morgan.
Richard Morgan, avec son personnage Takeshi Kovacs, écrit de la SF qui cogne. C'est une sorte de polar ultraviolent où la conscience est numérisée et transposable de corps à corps. Les plus riches maintiennent des batteries de clones, et deviennent virtuellement immortels, pendant que les pauvres ne peuvent se payer qu'un ou deux corps, et doivent supporter la vue des corps de proches revêtus par des tiers plus fortunés. Kovacs est une sorte d'übersoldat, qui n'est pas forcément mis au courant de tout mais que tout le monde semble vouloir tuer. Il n'aime pas trop ça, et quand il se fâche, c'est tout rouge. Et c'est plutôt chouette.




7 & 8. Judas Unchained & Pandora's Star, Peter F. Hamilton.
Hamilton, comme déjà noté ici, est une sorte de psychopathe qui arrive à sortir des bouquins de 1200 pages tous les ans. A chaque fois, il y a des dizaines de mondes, de personnages, de factions, et tout est entremêlé et se passe en même temps.
Dans ces deux volumes, l'Humanité qui a colonisé pas mal de planètes, reliées entre elles par des trous de vers, monte une formidable expédition d'exploration vers un système solaire qui a été entièrement englouti en quelques secondes par une sorte de barrière invraisemblable.
Bon, après il se passe tout un tas de choses, et on se retrouve dans une guerre à la mort avec une espèce qui ne comprend pas le compromis mais s'axe entièrement sur des idées d'extermination de la concurrence.
Le meilleur passage est d'ailleurs celui où Hamilton retrace les millions d'années d'évolution de ces créatures qui se séparent entre les motiles (enfin c'est le terme utilisé en anglais), qui sont les créatures sans grande intelligence mais mobiles contrôlées par les immotiles qui ont troqué leurs moyens de locomotion contre une spécialisation dans la conscience et l'organisation. Ca a l'air bête dit comme ça, mais en fait c'est chouette, c'est promis.
C'est donc un bon space opera qui n'oublie pas d'être de la hard SF; c'est efficace, et comme d'habitude avec Hamilton, on se retrouve un peu désoeuvré quand on a fini les 2500 pages et qu'il n'y a plus rien à lire.



9. Darkly Dreaming Dexter
, Jeff Lindsay.
Le livre, c'est toujours mieux que le film/la série, disent en bombant le torse ceux qui ont lu le livre à ceux qui n'ont vu que l'adaptation. Parce que moi aussi je voulais bomber le torse, et que la série Dexter est un petit bijou, j'ai lu le roman originel. Bon, c'est raté, je n'ai rien à bomber. La série est beaucoup plus fouillée, les personnages plus complexes, l'atmosphère plus malsaine, et l'histoire mieux écrite. Je suis peut-être juste réfractaire aux thrillers modernes, mais là où la série est formidable, le roman n'est pas mémorable.



10. World War Z
, Max Brooks.
World War Z est la reconstitution de la guerre contre les zombies à travers toute une série d'entretiens sur différents épisodes avec des témoins occulaires. Le début de l'épidémie en Chine, les premiers morts, la généralisation du problème, l'angoisse, la panique, face à une guerre qui semble perdue d'avance: tout est bien agencé, bien pensé, ça se lit comme un reportage ou une série d'articles de presse.
Le point clé de l'histoire est quand l'humanité décide de lutter coûte que coûte, de ne pas désespérer, et de reprendre ce que les zombies lui ont pris. Malheureusement, cette décision fait suite à un discours du président des Etats-Unis, qui montre bien sûr la voie à suivre pour le reste du monde qui n'attendait que cela. C'est étonnant comment, même en plein milieu des années Bush (au moment de la parution), les américains s'accrochaient encore à cet étrange mythe du Président-Messie. Avec Obama qui rachète les péchés de l'esclavagisme et de la ségrégation raciale, les livres et films vont probablement s'adonner avec encore plus de complaisance à un patriotisme larmoyant débordant d'auto-fascination. Chouette!

On est au XXIe siècle, les gars.

Alors que l'on croit naïvement évoluer dans un monde moderne et rationnel, il y a de ces histoires qui rappellent que l'on est toujours à deux pas du Moyen-Age.

Au Brésil, une petite fille de 9 ans, violée depuis l'âge de 6 ans par son beau-père, s'est fait avorter en catastrophe alors que sa vie était en jeu. Voilà une histoire qui révolte l'Eglise Catholique. Pas le viol, pas la pédophilie, non, c'est l'avortement qui seul est scandaleux. Hop, on ressort l'arme anachronique mais symbolique: on excommunie la mère, et les médecins. On épargne miséricordieusement ce châtiment divin à la petite fille, par égard à son bas âge. Le violeur pédophile, lui, reste dans les bonnes grâces de l'Eglise, sans même un blâme, un mauvais point. Apparemment, Dieu pardonne beaucoup plus facilement à ceux qui violent les petites filles qu'à ceux qui essaient de les sauver.
Ces excommunications ne sont pas le fait d'un unique évêque réactionnaire, car il a eu le soutien du Vatican. Cette politique a au moins le mérite d'être cohérente, si l'on se rappelle tous les scandales de pédophilie avec le clergé catholique aux Etats-Unis, soigneusement étouffés sous un confortable matelas d'argent, et qui n'avaient pas été non plus occasion à excommunier les coupables.

La justification de ces excommunications sélectives? L'avortement (légal) est plus grave que le viol et la pédophilie car "La loi de Dieu est au-dessus de la loi des hommes"! Chez d'autres, ce concept s'appelle la chariah. En tous cas, c'est la justification suprême de l'obscurantisme.
Et qui dit ce qu'est la loi de Dieu? Il est vrai qu'assez étrangement les dix commandements ne parlent ni de viol, ni de pédophilie, ni de torture, ni même, pour ratisser large, de cannibalisme. Il n'est pas très contraignant, Dieu. Heureusement, il y a le pape, qui est la voix de Dieu sur Terre. Depuis 1870, il est même infaillible! Comme quand il ré-instaure des évêques négationistes. Et à travers le cardinal Giovanni Battista Re, Benoît (donc Dieu) approuve.

J'ai d'ailleurs cherché longtemps sur le site de l'Eglise de France une condamnation de cette décision moyen-âgeuse, mais je n'ai même pas trouvé une seule mention. Qui ne dit mot consent (ironie bonus dans le lien), surtout quand le chef est le même. Par contre, il y a une rubrique: "A toi la Parole ! Viens imaginer l'Eglise de demain". Moi j'ai des idées, si ça intéresse. Une d'elles, par exemple, c'est: "L'Eglise de demain condamnera les violeurs pédophiles, et non les médecins qui essaient de sauver la vie de leurs victimes".

Apparemment c'est quelque chose qu'en 2009, il faut encore préciser.

Un peu de littérature que diable I

Enfant, j'étais adorable. C'est du moins le souvenir que j'essaie d'avoir de moi-même. Pantouflard précoce, je me suis très tôt adonné à deux préoccupations obsessionnelles: lire, et faire des listes. Les années ont passé, mais je ne conçois pas un chez-moi sans piles de bouquins, et je suis encore, épisodiquement, emporté par une fièvre irrationnelle d'ordre, de symétrie, de propreté, et l'idée de dresser des listes claires, nettes, exhaustives, me donne des vertiges. Ces vertiges sont généralement rattrapés quelques instants plus tard par la paresse, qui rappelle l'effort dans la durée qui est induit par de telles entreprises.

Ma bien-aimée pourra témoigner que les mots d'ordre et de propreté venant de ma bouche peuvent sembler être du second degré, une affaire touchant au burlesque. Je suis maniaque, mais de façon très sélective. En fait, ça se limite aux livres.

Un livre s'achète neuf. Le papier sent bon, la reliure est impeccable, la couverture lisse. Quand on l'ouvre, délicatement, les premières pages râpent doucement contre l'intérieur de la couverture. Pendant la lecture, celle-ci doit être délicatement courbée, en prenant soin de garder une reliure droite, pour éviter que celle-ci ne se déforme, ou -- horreur -- qu'elle ne plie, offrant une ligne infâme, une boursouflure rectiligne sous les doigts qui tiennent le livre.
Ce n'est pas par hasard que je suis intransigeant sur la reliure. C'est que derrière toute obsession se cache un traumatisme. Etant enfant, un de mes livres, à l'époque un de ces livres-dont-vous-êtes-le-héros qui m'ont en premier amené à la science-fiction, a non seulement subi un pli de sa reliure, mais pis encore! celle-ci s'est désagrégée totalement, et les pages se sont alors détachées sous mes yeux horrifiés. J'en tremble encore.
En réalité, comme je ne jette jamais un livre (à part Millenium, de Larsson, que j'aurais volontiers mis aux ordures si je n'avais pas pu me faire rembourser), je viens de me rendre compte que je l'ai encore, et voici des images pour illustrer cette infâmie. Je ne me souvenais plus que pour lutter contre l'entropie implacable et cruelle qui détruisait mon bien, j'avais dans un touchant mais lamentable effort essayé de scotcher les feuilles volantes.





Pour ma défense, j'avais acheté ce livre, d'après le tampon à l'intérieur, quand les numéros de téléphone n'avaient encore que 8 chiffres. Pour donner le vertige aux plus jeunes: à l'époque, Google n'existait pas. Ah, le vieux con!
Toujours est-il que depuis cet épisode fatal, je manipule mes livres avec plus de soin que certains leurs idoles.

Et puis, autre problématique cruciale pour qui comme moi aime lire les livres dans la langue de Shakespeare: nos amis américains sont tellement occupés à être le sommet de l'évolution humaine et le symbole de la liberté, qu'ils en ont oublié d'apprendre à utiliser une encre qui reste sur le papier. Après une heure de lecture, on a les doigts noirs d'encre, à tel point que l'on pourrait se dessiner des fausses moustaches, si la présence de véritables moustaches ne gâchait pas l'effet. Mais cela a une conséquence plus funeste: le pouce saupoudré d'encre noire se frottant au fil de la lecture à la tranche du livre, celle-ci se retrouve barrée d'un trait repoussant de saleté.
C'est tout un art, et un savoir-faire, que de pouvoir manipuler ces volumes en préservant leur tranche intacte. Les premiers livres américains que j'ai lus portent la trace honteuse et indélébile de mon inexpérience d'alors.

J'en profite pour maudire tous ceux qui cornent les pages en lieu et place d'un marque-pages réglementaire, et je ne parle pas de ceux qui plient entièrement la couverture du devant, pour la coller à celle de derrière, en brisant la reliure et en déformant affreusement toutes les pages. Leur châtiment, j'en suis sûr, viendra en temps et en heure.

Toujours est-il qu'avec le temps va, tout s'en va, et que mes habitudes de lecture s'étaient petit à petit dissolues en faveur, notamment, de visionnages intensifs de Futurama, Arrested Development ou encore du désopilant et sophistiqué, mais inconnu en France, Frasier. Et puis, l'année dernière, un évènement cataclysmique a secoué la planète: tous les scénaristes américains qui m'abreuvaient de leur talent se sont mis en grève. J'ai renoué alors avec mes anciennes amours, en doublant probablement au passage le chiffre d'affaire d'Amazon.fr que je soupçonne vaguement d'avoir été à l'origine de la grève.

C'est là que ma fièvre des listes me reprend du moins pour l'instant. Je me propose le projet suivant, valable jusqu'à abandon par désintérêt et paresse: consigner ici ma liste de lecture, brièvement commentée, depuis la Grande Grève des scénaristes jusqu'à maintenant. Cela a plusieurs atouts:
  1. Je pourrai me souvenir de quoi tel ou tel livre parle dans le futur. En effet, mon cerveau n'ayant qu'un espace de stockage limité, tout livre lu en chasse les informations d'une lecture précédente (exceptés quelques mèmes qui s'échappent):
  2. Cela permettra peut-être à un quidam de passage de tomber sur un livre plus intéressant que l'autobiographie de Michel Drücker qu'on lui a offert à la Noëlle. J'ai cru en effet constater que les livres mis en avant dans les supermarchés de la culture sont, à l'instar de la musique qu'ils proposent, majoritairement médiocres. Mon narcissisme naturel et mon mépris de la plèbe me soufflent que j'ai probablement de meilleures lectures que le téléspectateur moyen de TF1, et ma générosité légendaire me pousse à partager mes découvertes.
  3. Alternativement, cela peut permettre au même quidam de passage de briller en société en feignant d'avoir lu les ouvrages mentionnés.
Voilà donc la première partie. Cette liste est chronologique, parce que j'en ai décidé ainsi. Je ne traduis pas les titres en anglais parce que je n'ai pas que ça à faire, non mais dis.



1. GlassHouse
, Charles Stross
Rien de tel qu'un peu de bonne science-fiction pour se remettre dans les rails. Charles Stross est une des stars montantes de la SF britannique, même si à l'époque je ne le savais pas encore, et mes lectures suivantes confirment que c'est un monsieur qu'il faut surveiller. GlassHouse se passe dans un futur où un type, pour échapper à un danger mortel, se rend volontairement amnésique pour que ses ennemis le laissent en paix. Oui, mais apparemment on lui en veut encore, et il ne sait même plus qui ni pourquoi. Pour esquiver le tout, il s'engage dans une expérience qui, en gros, veut recréer le monde du XXe siècle, en isolation totale. Bon, ça ne se passe pas non plus comme prévu.
Le résultat est un mélange étrange de critique sociale à la Candide (un ingénu arrive dans notre monde) et de hard SF, plaisant sans être non plus renversant.



2. Anansi Boys,
Neil Gaiman
Pour qui ne connaît pas Neil Gaiman: il faut vraiment être un gros nul pour ne pas connaître Neil Gaiman. C'est un de ces types énervants qui ont à chaque instant une quinzaine de projets et qui arrivent quand même à sortir de la qualité. Remarqué en tant que scénariste de la bande dessinée Sandman, il a écrit des choses comme Stardust, Neverwhere ou American Gods. Ces trois romans, déjà dans ma besace avec une place d'honneur, me donnaient de grands espoirs dans Anansi Boys. Le problème, c'est que Neillounet tourne un peu en rond: le même genre d'histoire, le même genre de personnages, les mêmes ressorts. Des histoires de dieux qui vivent parmi nous, qui luttent entre eux en coulisses, etc. Maintenant qu'il a assit sa réputation, il déroule, il fait du Neil Gaiman. C'est décevant.



3 & 4. Ilium & Olympos, Dan Simmons
Il y a 20 ans, Dan Simmons a écrit Hypérion. On peut en conclure deux choses: 1°) ça ne nous rajeunit pas, et 2°) de façon générale, on peut faire confiance à Simmons pour écrire de la bonne SF comme il faut.
Le monde qu'il développe ici est soigneusement déjanté: des faux dieux grecs sur Mars reconstituent l'Iliade sous les yeux d'érudits ressucités, pendant que les derniers hommes sur Terre essaient de comprendre ce qui leur arrive et que des robots viennent de Jupiter inspecter ce qui se trame sur Mars tout en discutant Proust.

Le tout est une sorte d'amalgame de genres, de la SF qui tourne autour de Shakespeare, Proust et Homère avec même une ligne de téléphérique géante soutenue par des piliers qui sont tous des Tours Eiffel.
L'explication finale par contre est moins satisfaisante que le reste de l'histoire, et a un peu l'air d'un tour de passe-passe pour faire comme si tout le reste pouvait en réalité tenir debout.
Mais bon, l'important ce n'est pas l'arrivée mais le voyage. Il faut m'imaginer déclamer la phrase précédente les cheveux au vent, les yeux perdus vers le large trahissant un peu mélancolie sous la sagesse.



5. Iron Council
, China Miéville.
China Miéville, c'est bien. Il faut d'ailleurs lire Perdido Street Station et les Scarifiés, qui sont deux autres romans se passant dans son univers qui oscille superbement entre fantasy et steampunk et qui gravite autour de la métropole de New Crobuzon. Dans Iron Council, la ville s'essaie à coloniser le continent, et se jette à corps perdu dans la construction d'une gigantesque voie de chemin de fer à travers plaines, déserts et marécages. Et puis, il y a mutinerie, des rumeurs de guerre, de la magie, de l'exploration. C'est du costaud. Il y a même, revenant des tréfonds de Perdido Street Station, une brève apparition de la Tisseuse, énorme et énigmatique araignée transdimensionnelle qui répare la toile de la réalité.
Et c'est très bien écrit, par opposition à Dan Simmons par exemple qui écrit de manière efficace mais sans être folichon. Miéville, je l'ai à l'oeil depuis le début, il faut le surveiller cet homme-là.


Bon, allez, hop, c'est tout pour l'instant.