Histoire naturelle.

Aujourd'hui il a fait beau: j'ai donc décidé d'aller au musée. Boudant les rayons nocifs de l'astre vengeur, je suis allé au Muséum d'Histoire Naturelle, de Paléontologie et Anatomie Comparée.

C'est un musée très spécial. Dès qu'on passe les portes étroites et lourdes, on se retrouve dans un bâtiment hors du temps, un de ces rares endroits où la boutique de souvenirs serait la seule différence qu'un visiteur du siècle dernier remarquerait.

En rentrant, il faut faire la queue derrière les parents qui ont du mal à tenir leurs enfants surexcités. A droite, juste derrière la porte, est une énorme statue de pierre, monstrueuse, disproportionnée, d'un orang-outang bestial, massif, la rage au visage, qui immobilise un sauvage et l'étrangle violemment de ses gigantesques mains de pierre. Un jeune orang-outang, à droite, regarde la scène, effaré. Si une scène a pu effrayer un anti-Darwiniste du siècle passé (ou un américain moyen), c'est bien celle-là. La violence de la statue est telle que j'ai eu un coup d'oeil appréhensif en voyant des enfants de quelques années scruter les yeux exorbités de l'homme au bord de la mort, ou encore les tripes de l'énorme singe qui sortent par une large blessure à son côté.

"Regarde," fait gravement un bambin à son père, le doigt pointé. "Regarde," dit-il plus excité, comme s'il venait de déchiffrer la scène, "l'escargot! L'escargot il les regarde!"


Et en effet, en bas, à droite, il y a bien un minuscule escargot de pierre, qui se tourne nonchalemment vers l'acte meurtrier (détail ci-dessus).

Cet escargot est la dernière chose du musée vraiment destinée aux enfants. A l'intérieur, dans deux grandes galeries superposées s'étalent les squelettes du vivant depuis les premiers organismes ayant vécu sur Terre jusqu'à l'homme. Chaque animal est reconstitué soigneusement, sur des armatures de fer, et posé à côté de ses plus proches voisins dans l'arbre de la vie. Pas de panneau d'information, pas de fiches ludiques pour les enfants, pas de guide audio, quasiment aucun texte explicatif: le visiteur est jeté au milieu de ces squelettes sans explication, obligé de contourner soigneusement tous ces animaux d'os sans trop oser faire craquer l'antique parquet.


On se croirait dans la remise d'un savant fou du XIXe siècle: les crânes de singes sont posés en rang, plus loin ce sont les chiens, et de l'autre côté un assortiment d'organes préservés dans du formol. Quelques cartons traînent à côté des os: jaunis par le temps, ils se contentent d'indiquer le nom latin de l'espèce exposée. Au-dessus des vitrines de présentation, d'autres os sont entassés, on voit des petits tiroirs, on se demande quelles choses étranges doivent encore s'y cacher.

En bas, les animaux contemporains. En haut, les mammifères du Tertiaire et les dinosaures. Un énorme Mégathérium, un tigre aux dents de sabre, un Mégacéros, là où il y a de la place. De l'autre côté, un superbe crâne de Tyrannosaure, un autre de Tricératops, et derrière, aux tréfonds de l'ère primaire, un invraisemblable crâne de Dunkleosteus, un poisson gigantesque et cuirassé.

Tout en haut sont entassés dans des présentoirs tout un tas de fossiles encore plus anciens, d'une époque si reculée qu'elle n'avait pas compris qu'il faut des machins énormes avec des grandes dents pour être intéressante.


Je n'ai pas pu faire cette visite sans une pensée émue pour tous ces obscurantistes outre-atlantique (et paraît-il outre-manche) qui arrivent encore en 2009 à nier l'évolution des espèces. Il y a des trous entre les spécimens fossiles, disent-ils. Où sont les fossiles intermédiaires? Et bien, ils sont au musée, pardi.

Et surtout, que personne ne touche à ce musée. C'est comme l'hôtel dans Shining: ce n'est pas juste ce qu'il y a dedans, c'est le bâtiment lui-même. Laissons les vieux escaliers en bois, la peinture qui s'écaille, les vieilles vitrines, les cartons antiques, les os entreposés un peu au hasard dans les couloirs. Un peu de poussière ne fait de mal à personne. La science n'a pas besoin de faire dans le spectacle pour faire dans le vrai. Après tout, il y a un Tricératops et un Tyrannosaure reconstitués dans ce musée. Je préfère nos bons vieux os rationnels.

HADOPI

Il est possible que, lecteur, tu penses que par ce nouvel article de blog je reviens d'outre-tombe, mais en fait, j'étais juste derrière le canapé.

Voilà ce qui me fait revenir: encore une fois, notre président pousse pour faire passer une loi liberticide dans le seul but de faire plaisir à madame et de protéger des copains, qui préfèrent blâmer les internautes que se rendre compte que l'on est au XXIe siècle. La loi HADOPI, examinée la semaine prochaine, a les truculents effets suivants:
  • des intérêts privés peuvent sortir une adresse IP de leur fondement, et exiger sans preuve ni jugement que le fournisseur d'accès qui a délivré cette adresse exclue d'internet son possesseur;
  • l'internaute ainsi condamné, sans juge, est coupable sauf s'il arrive à prouver qu'il est innocent (il continue en tous cas à payer son abonnement internet même s'il ne peut plus se connecter);
  • pour prouver son innocence, a posteriori, il faut avoir au préalable installé sur sa machine un espion gouvernemental (ce qui techniquement s'appelle un mouchard, ou un cheval de troie);
  • ce mouchard n'a aucune obligation d'interopérabilité: i.e., quelqu'un utilisant Linux, et qui ne pourra pas installer un tel dispositif orwellien, n'aura même pas la possibilité de prouver son innocence;
  • lire ceci pour continuer à rigoler.
La Quadrature du Net propose d'imiter nos amis des antipodes qui ont avec succès repoussé une loi similaire, et nous éviter ainsi un embarras mondial d'avoir enfanté cette aberration anachronique. Il s'agit de peindre le net français en noir en protestation. Il paraît que ça marche.


HADOPI - Le Net en France : black-out

Ironie mordante, l'UMP qui veut imposer cette loi au nom des artistes, pirate en même temps la musique de l'excellent groupe MGMT, utilisé sans aucune forme d'autorisation lors de meetings ou dans des vidéos de propagande. Pris sur le fait, le parti leur propose très généreusement un euro symbolique de dédomagement. Pirater c'est affreux, sauf quand on a le pouvoir.

Malgré tout cela, en France, certaines personnes arrivent encore à faire de la bonne musique, comme Emily Loizeau, Mansfield.TYA, ou encore De Rien, dont je viens à peine de découvrir le second album.