L'APRIL, Picasso, du Klezmer et la Tour Eiffel

Dépêche-toi, visiteur imprudent, d'adhérer à l'APRIL, l'excellente association nationale qui essaie envers et contre tout d'asseoir la place des logiciels libres en France, et dont je suis moi-même un discret membre. Si tu ne sais pas de quoi il s'agit, renseigne-toi, car c'est un sujet qui passe presque inaperçu, mais qui est en train en douce de décider de pas mal de choses. Quelques questions, au hasard:

  • est-ce que l'école de la République doit apprendre comment utiliser des logiciels édités et contrôlés intégralement par une entreprise américaine?
  • est-ce qu'il faut absolument avoir acheté des licences Microsoft pour lire/éditer des fichiers venant de l'administration?
  • est-ce que c'est judicieux d'avoir des pans entiers de l'administration qui dépensent chaque années des millions et des millions pour des logiciels qui ont un équivalent gratuit et libre?
  • est-ce qu'acheter un ordinateur doit dans les faits vouloir dire donner des sous à Microsoft, même si on veut installer autre chose, par exemple Linux à la place?
  • est-ce que les logiciels, qui sont des idées, des algorithmes, sont brevetables, comme aux USA? Pour te montrer que c'est une chose abominable, c'est un peu comme si on brevetait des preuves mathématiques, qui sont aussi des idées et des algorithmes, et qu'il faudrait payer le détenteur du brevet pour pouvoir utiliser tel ou tel théorême.
Tu t'endors? Tu n'y comprends rien? Tu me déçois beaucoup. Passons.

Ce week-end, avec la bien-aimée, nous sommes allés visiter l'exposition 'Picasso et ses maîtres' au Grand Palais. C'était très intéressant, très varié, très fourni, plus complet que prévu, plein de monde. Notre audioguide à l'oreille, les sourcils froncés, nous avions tous l'air d'avoir de très longues conversations téléphoniques professionnelles, au milieu des toiles qui balancent entre recherche, rigueur, grotesque, provocation.

Hélas, l'exposition ne passait pas sous la grande verrière du Grand Palais, mais nous a fait circuler dans une déchirure du continuum espace-temps, où les salles et les escaliers se succédaient dans un volume apparemment beaucoup plus vaste que le bâtiment extérieur.

Dehors, sur les Champs-Elysées, il y avait le marché de Noël, deux longues rangées de cabanons blancs, dont un stand était, pour une raison obscure, entièrement dédié au magicien Majax. C'est, avec la grande roue derrière l'obélisque, le projet de Marcel Campion, qui est notre copain depuis qu'on l'a vu jouer à la guitare au Cabaret Manouche.

Et puis, dimanche, pour nous remettre de ces émotions, nous sommes allés écouter de la musique. C'était, au Café de la Danse, un concert de l'excellent groupe klezmer Oy Division, débordant d'enthousiasme, d'accordéons, de complaintes poignantes en yiddish, rythmé par une contrebasse et emporté par un violon et une clarinette. Le chanteur, aperçu en lévitation sur la photo qui suit, frêle sous sa tête alourdie d'une énorme barbe et de plus de cheveux que je n'aurai jamais eu de ma vie au crépuscule de celle-ci, criait d'une voix claire et saisissante, les douleurs, les joies, l'espoir et le désespoir, dans cette langue qui sent l'Est, les souffrances, mais aussi un grand besoin de joie.


La salle était pleine à craquer, chose assez surprenante pour nous après le désert gênant du Cabaret Manouche; tout le monde se connaissait, tout le monde s'interpellait, beaucoup parlaient en hébreu, ignorant totalement la présence d'une poignée de goy dans l'audience. Nous étions au premier rang, à côté d'un grand-père nommé Claude qui était très bien installé, mais que sa femme a implacablement replacé avec elle tout au fond de la salle, sous prétexte qu'il serait mieux, tu vas voir, c'est presque centré en plus. Il y avait tellement de monde que les organisateurs ont dû rajouter un premier rang devant le nôtre, ce qui nous a remplis d'une rage sourde, évidemment. Les jeunes qui se sont installés devant nous, tous flasques, n'ont pas bougé d'un poil pendant tout le concert, alors que ça pouet-pouetait drôlement, avec des rythmes qui s'accélèrent, des cris qui fusent, la clarinette qui s'emballe. La bien-aimée et moi étions peut-être les moins juifs, mais parmi les plus enthousiastes, et, à la fin du concert, quand le groupe est venu jouer au milieu des rangs, oui, nous avons dansé avec nos amis juifs.

Et hier soir, comme une âme en peine dont la bien-aimée a regagné ses contrées, j'ai erré dans Paris de nuit, mon fidèle appareil photo dans la main. Il faisait froid, les feux de Paris se réverbéraient sur les nuages bas, et depuis St-Michel j'ai marché pendant quelques heures, m'arrêtant entre autres dans ce lieu magique qu'est de nuit le carré du Louvre, derrière le Pavillon Sully, derrière la pyramide, remontant les Champs Elysées, me perdant dans les larges avenues bordées d'immenses hôtels particuliers dont les vieilles façades semblent craquer sous le poids de l'argent, pour arriver enfin devant la Tour Eiffel.



Elle est bleue.



Pour conclure, ayons une pensée pour Horst Tapper, qui est mort hier mais qui restera toujours l'éternel inspecteur Derrick