Jeanne, indémodable.

Cette élection présidentielle a été l'occasion d'une grande victoire pour une femme: Jeanne d'Arc. Auparavant uniquement brandie par l'extrême-droite, Le Pen en tête, elle a bénéficié ces derniers temps d'un joli regain de faveur chez les partis républicains.

Jeanne d'Arc est le symbole même d'une femme qui se lève et se bat pour ses convictions. C'est le symbole de la nation française qui se défend quand menacée. C'est le symbole du caractère divin de la France, puisqu'elle a été canonisée pour avoir voulu sauver la fille de l'Eglise.
On oublie souvent que c'est surtout le symbole d'une des plus anciennes et belles (car pérenne) mystifications politiques, à des fins de propagande, de notre histoire. Voilà en effet notre royaume coincé entre les traîtres burguignons et l'envahisseur d'Albion, depuis bien trop longtemps. Le roi n'en mène pas large, recule, est affaibli. Voici que débarque une illuminée charismatique, qui se prête une dimension mystique. Dieu soit loué, car apparemment Il est dans le camp de la France! Alors on met la Jeanne sur les devants, en espérant que tel un Stakhanov moyen-âgeux, elle redonnera au peuple le goût de se faire transpercer par les lames et les flèches des Anglais. Suivant la logique jusqu'au bout, dans un bon esprit, Jeanne passe au bûcher, et de bonne opération publique, elle devient martyr de la Nation.
Elle trouve alors utilité par-delà sa date de péremption: si l'image a plu à l'époque, il pourrait être utile de la ressortir. On s'en donne à coeur-joie. On la cannonise même en 1920.

Dans la politique française moderne, c'est bien sûr l'extrême-droite qui s'empare du symbole. Une femme, pure car pucelle, indomptable, guerrière, animée d'une mission divine, allant jusqu'au sacrifice de soi: on reconnaît bien sûr là trait pour trait les caractéristiques qui nous séparent nous autres bons français de tous ces perfides étrangers qui, s'ils ne nous briment pas, veulent au moins nous voler quelque chose.
Drumont aura même à dire: « C'est une Celte, Jeanne d'Arc, qui sauva la patrie. Vous connaissez mes idées [...] et vous savez de quel nom nous appelons l'ennemi qui a remplacé chez nous l'Anglais envahisseur du XVe siècle… Cet ennemi s'appelle pour nous le Juif et le franc-maçon. »
Heureusement, le FN de nos jours n'a pas pris cette citation à la lettre, et s'est permis de l'interpréter dans un contexte moderne, afin d'agrandir la liste des susmentionnés ennemis. De "bouter les Anglois hors de France" à jeter les Arabes à la Seine, il n'y a qu'un pas que certains frontistes n'ont pas peur de franchir, avant de regagner le cortège du FN dédié à la sainte.

Et pourtant, ces derniers temps, on retrouve aussi Jeanne dans les discours politiques de Ségolène Royal et de Nicolas Sarkozy.
Pour Royal, c'est dans un ridicule exercice d'identification avec une femme debout, brisant les tabous de l'époque, se battant dans un monde d'hommes. On compare Sarkozy à Napoléon, qu'importe! Elle, elle prend Jeanne. Finies les métaphores animalières! La gazelle n'est plus, on sort la sainte.
Quand au nouveau président, il déclamait récemment à Rouen, le visage tendu (et pas encore bronzé sur le pont du yacht de la 13e fortune de France): "Comment être à Rouen et ne pas penser à Jeanne sur son bûcher, criant le nom de Jésus au milieu des flammes? " et de continuer sur l'importance que nous autres bons catholiques avons dans la France d'aujourd'hui, et son refus de plier devant les musulmans qui, c'est bien connu, égorgent tous, tous les jours, des animaux chez eux, et qui sont tous polygames.

Jeanne, la sainte, la mystique, la guerrière, qui fit sacrer un roi, appelée de toutes parts au nom de la République laïque et rationnelle issue de la Révolution. Dieu merci, la politique sait garder un sens de l'ironie.

  1. gravatar

    # by Anonyme - 30 mai 2007 à 10:48:00 UTC+1

    bon article.Vous devriez vous interesser a la vision de Claudel et Honneger et plus précisement a la mise en scene de cette piece jouee actuelement à Bale et interpreté par Marianne Denicourt