Automne.

C'est l'automne. La lumière s'affaiblit, la brume monte, et les arbres, dans un soubresaut de souffrance orangée, perdent leurs feuilles par centaines. Spectacle apaisant de ces allées rougies par les feuilles mortes volant au vent; en fermant son manteau, préservant ainsi autour de soi un peu de la chaleur estivale, l'on peut regarder sereinement la nature s'endormir encore une fois, en l'attente d'une nouvelle renaissance.
Et pourtant, ces grandes avenues recouvertes de toutes sortes de teintes, du rouge vif au vert à peine roussi, sont le lieu privilégié d'une terreur saisonnière: celle de la déjection canine furtive. Délaissant les tactiques millénaires des déjections rurales, l'excrément urbain a su s'adapter à la vie moderne; quittant les champs et les chemins de terre, il s'est réfugié dans les villes, où il a su appliquer les règles de la guérilla urbaine. Tel un ninja malodorant, la fiente canine se camoufle, se terre, se dissimule. Sous les feuilles mortes qui rappellent au passant le cycle de la vie, le caractère éphémère de l'existence et la valeur de chaque instant, se cache ainsi une menace glissante d'une nature des plus douteuses.
Malheur à qui sous-estime le pouvoir de dissimulation de ces nuisibles créatures! Dans un excès de confiance, l'insouciant courra sur le trottoir, dans les parcs, dans les rues piétonnes; lorsque la déjection canine frappera, il n'aura comme récompense qu'une demi-seconde de panique, la surprise du choc de la chute, et l'amertume de longues soirées d'hiver solitaires passées à dessiner rageusement sur son nouveau plâtre. Le pied à peine posé sur une large feuille mouvante, le flâneur avisé, lui, saura reconnaître le flottement caractéristique, et pourra esquiver l'irréparable, avant d'avoir appuyé tout son poids sur la feuille susmentionnée.
Méfie-toi, innocent quidam de la rue: sous la splendeur de la nature qui s'embrase avant de mourir, se dissimule un vieil ennemi, toujours aux aguets, toujours décidé à frapper. Sois averti. Sois prêt.