La riposte graduée: comment restreindre les libertés au nom de ces pauvres artistes

Le gouvernement, après avoir demandé à un marchand comment il pourrait gagner plus de gros sous, veut absolument faire voter une loi sur la ripose graduée. J'en ai déjà parlé, il s'agit de surveiller les internautes, et, en cas d'infraction supposément constatée, les ayant-droits pourraient, sans aucun juge, remonter jusqu'à la personne propriétaire de la machine, pour le bannir d'internet. Le gouvernement, qui d'un côté veut bannir des gens, parle d'un autre d'un droit d'accès à internet pour les européens, faisant là encore preuve d'une cohérence sans faille.
Le parlement européen a, je le rappelle, voté contre ces dispositions.
Mais la bataille s'annonce acharnée. Ainsi, d'après Pascal Rogard, patron de la SACD, « la protection de la vie privée porte atteinte à d'autres libertés ». Les propositions de ces organismes reviennent à ceci: installer sur les ordinateurs des internautes des programmes ("spyware") qui les avertirait en cas d'infraction supposée.
Un autre article fait sourire, tristement; il s'agit d'un entretien avec Marc Guez, patron de la SCPP (Société civile des producteurs de phonogrammes).
Marc Guez. Ce ne sont pas les gens qui sont surveillés, ce sont leurs machines à partir du moment où elles sont connectées à un réseau peer-to-peer. Par exemple, quelqu'un qui allume son micro, qui met des fichiers en partage et qui part de chez lui pendant trois mois. Et bien, il sera susceptible d'être détecté parce qu'il est connecté au réseau. Par contre, qu'il soit là ou pas, qu'il surfe ou qu'il ne surfe pas, on ne le sait pas. On ne surveille pas du tout l'activité de flux, c'est-à-dire où les citoyens se connectent. Le fait déclencheur c'est qu'une machine, quelle qu'elle soit, mette des contenus à disposition. Et bien c'est comme si des gens sortent des meubles de jardin devant leur maison. Et bien tous les gens qui passent devant leur maison peuvent les voir. A contrario, si vous les laissez à l'intérieur, personne ne va les voir. Et on ne rentre pas chez vous.
Si j'ai bien compris, le raisonnement est que mettre passivement à disposition des contenus supposément protégés par des droits d'auteur est aussi répréhensible -- et punissable pénalement -- que de laisser ses meubles de jardin dehors.
D'autre part, s'ils ne surveillent pas les flux, donc les échanges de données, il n'y a même pas de preuve de piratage, sauf si mes lacunes en droit me font défaut. La détention de musique serait-elle proscrite? Mettre sa musique dûment payée sur son ordinateur est-il interdit? Que veut dire mettre en partage? Est-ce mettre les fichiers en question sur un réseau du type Emule? Bittorent? Est-ce les mettre sur un ftp privé pour pouvoir se transférer personnellement de la musique d'un endroit à un autre? Est-ce les mettre sur son disque dur, accessibles par ce programme pirate par excellence, ssh?
Pour reprendre l'image jardinière du monsieur, si je copie un album légalement acheté, selon mon droit théorique à la copie privée, et que je laisse cette même copie sur ma table de jardin, suis-je coupable de mise à disposition de musique, pour le quidam qui regarderait chez moi et qui pourrait me prendre ma copie?
En fait on interroge les réseaux de peer-to-peer pour savoir quels sont les fichiers mis en partage. Et ce sont eux qui vont nous dire quels sont les internautes connectés qui les mettent à disposition. C'est un échantillon qui est relevé à un instant donné. Nous collectons les informations de base : à partir de quelle connexion Internet ont été mis à disposition des fichiers sans autorisation.
Cela ouvre un autre volet fascinant: comment reconnaître un fichier mis à disposition sans autorisation. Bien sûr, seuls les artistes à gros volume seront recherchés: plutôt Johnny Halliday que Anna Terhneim. Comment alors trier les fichiers à disposition, comment retrouver un titre illicitement partagé? Peut-être le nom du fichier. Si je m'enregistre en train de chanter la marseillaise, et que je mets à disposition le fichier sous le nom de "Johnny Halliday - Elle est terrible.mp3", suis-je un pirate? Est-ce que, sans décision d'aucun juge, cela suffit-il à me faire condamner d'internet?
Faut-il que les ayant-droit téléchargent le fichier incriminé, pour s'assurer qu'ils en détiennent les droits? Mais alors, en téléchargeant illégalement un fichier protégé par le droit d'auteur, ne seraient-ils pas alors tout aussi coupables?

On s'étonnera que parmi toutes ces propositions faites par ces puissants lobbys, au nom des artistes, pas une ne concerne la hausse de la part de la rémunération de ceux-ci sur le prix d'un CD. On pourrait penser que, si moins de CDs se vendent, on pourrait ainsi mécaniquement compenser le manque à gagner des artistes, dont ils ont tant à coeur le bien-être.

Pendant qu'une industrie cherche à conserver ses marges honteuses, préférant sacrifier les libertés individuelles plutôt que leurs profits, tout cela avec l'approbation bienveillante et active du gouvernement, il reste quand même quelques personnes à aimer la musique, et à se souvenir que ce sont les artistes qu'il faut soutenir, et non tous ceux qui prétendent parler en leur nom. Personnellement, voilà mon programme des deux semaines qui viennent. Petit test: tu reconnaîtra certains artistes, mais tous? Non? Comment est-ce possible? Ne passeraient-ils pas à la radio? Comment alors découvrir ces talentueux groupes dont les maisons de disques ne jugent pas bon de faire la promotion?