Un peu de littérature que diable V.

Quoi, la remontée dans le temps de mes lectures n'est pas arrivée à un terme, sûrement mérité? Pas encore. C'est que je lis des choses bien, en ce moment, et avant de pouvoir en parler, j'ai encore un bon paquet de bouquins à passer. Allons-y, cela fera passer le temps pendant cette adorable canicule printanière.

24. 'Best of', H.P. Lovecraft.
Après K. Dick, un autre auteur marquant, mais, comment dire, là où Dickounet a juste pris du LSD, Lovecraft a un pied dans l'asile de fous. Il faut s'imaginer un type relativement médiocre et insignifiant du début du XXe dans la Nouvelle-Angleterre dont les racines puritaines n'inspire pas la fantaisie, et qui, fiévreusement, chez lui, dans un anglais châtié et vieilli, délicieusement désuet, toujours digne et travaillé, écrit des nouvelles pleines de malédictions, de démons sans âge, de Dieux maléfiques, d'artistes fous, de meurtres, de lieux étranges et maudits, habités par des créatures marginalement humaines. Ca décape, et le tout semblerait presque anachronique si ce n'était le style solennel qui peut, je l'avoue, paraître au premier regard un peu ennuyeux, mais qui participe à l'atmosphère particulière de toutes ces nouvelles.

25. Histoire du Juif Errant, Jean d'Ormesson.
Soufflé par une ancienne lecture de la Gloire de l'Empire, j'ai voulu m'attaquer à d'autres romans de ce délicieux monsieur. Un peu comme dans le Pendule de Foucault d'Umberto Eco, le lecteur est pris dans le tourbillon d'une Histoire éclatée puis reconstituée, réinterprété dans un nouveau puzzle, avec pour personnage central et innamovible le Juif Errant, cynique, enthousiaste, rancunier et en perpétuel mouvement. Lire d'Ormesson, c'est se laisser glisser doucement, c'est savourer avec lui son histoire. Un peu trop avec lui, peut-être, car là où la Gloire de l'Empire a la fausse objectivité d'un Michelet, le Juif Errant se heurte un peu à d'Ormesson, l'homme, mais heureusement moins quand dans le Rapport Gabriel, lu ultérieurement.

26. Demain les chiens, Clifford Simak.
Ne voulant jamais trop m'éloigner de la SF, je me lance à un supposé classique introuvable en langue de Shakespeare. Parfois, les éditeurs américains et anglais délaissent des auteurs, qui sont amoureusement publiés par des français, comme Brian Aldiss. C'est la seule chose notable à dire sur ce roman, qui se lit facilement, mais qui laisse facilement filtrer par sa ringardise le fait qu'il a été écrit en 1952. Ca parle de chiens, qui survivent aux hommes, sauf un type, qui apprend aux fourmis à construire des chariots. Je ne me souviens plus très bien, sauf que l'idée générale est que la technologie, c'est vilain.

27. Eugénie Grandet, Balzac.
Voulant plonger enfin dans les classiques de la littérature française, après avoir enfin découvert Zola, je me lance dans Balzac. Au risque de paraître paysan et rustre, mais mon enthousiasme s'arrête assez vite. Outre la typographie pénible, avec ses paragraphes interminables, sans aucun retour à la ligne, même pour les trois phrases de dialogue du romain, le sujet n'a rien de follichon. Là où Zola tape là où la société a mal, Balzac comme Flaubert ou ce genre de personnages reprend l'éprouvé scénario suivant:
  • Une jeune fille innocente est élevée dans l'idée de la vertu dans un milieu bourgeois mais strict
  • Débarque un jeune homme représentant le monde et la liberté, qui corrompt son coeur puis s'en va
  • La jeune fille cultive maladivement le culte du jeune homme
  • Ledit jeune homme est un ingrat qui est totalement insensible à ce dévouement
  • La jeune fille, meurtrie par ce dédain, sacrifie néanmoins son existence terne et oisive au souvenir des deux ou trois conversations qu'elle a pu entretenir un jour avec le malotru.
Alors je me ferai peut-être casser la gueule par des profs de français indignés, mais ces histoires noires sur des vies brisées où rien ne se passe, ça me barbe.

28. Nana, Zola.
Zola, à la rescousse, pour me délivrer du pesant Balzac. Alors que ce dernier était apparemment en admiration devant le premier, tout les sépare. Dans Nana, la susnommée, fille de Gervaise de l'Assomoir, est la courtisane venue de la rue qui corrompt de l'intérieur la haute bourgeoisie d'un Empire tellement rongé par ses vices qu'il se désagrège sous leur poids. Zola, comme toujours, reste en retrait, mais pousse, bouscule, malmène ses personnages. Nana, c'est l'histoire d'une femme qui chute irrémédiablement, mais qui veut à tout prix emporter tout le beau monde qui lui fait la cour avec elle. C'est l'histoire de tous les puissants, industriels, banquiers, politiques, aristocrates, qui se tiennent tellement entre eux par leur corruption qu'ils ne se rendent pas compte qu'ils sont tous en train de tomber en même temps.