Réflexions postales.

Je pourrais être tenté de parler une fois encore des merveilleuses idées abyssales de l'UMP (comme le fameux "lipdub" des jeunes UMP, complet avec l'handicapé qui reste sur le quai et Montagné qui conduit une voiture. Attention lors du visionnage, nausées fréquentes possibles) ou encore la formidable avancée pour les libertés individuelles que serait de remanier notre internet à la sauce chinoise, comme le propose un député; c'est vrai que là-bas, avec la censure et le contrôle de l'information, on ne voit pas passer les blagues racistes des ministres. Un vrai paradis.

Non, aujourd'hui mon article sera axé sur les sciences cognitives, autant dire que Frédéric Lefebvre ne sera pas mentionné. Il existe dans ce domaine de recherche un concept assez étrange pour permettre d'étudier le phénomène de la conscience: celui nommé peut-être par dérision ou jeu du zombie. Un zombie au sens philosophique est une créature humaine qui n'est pas douée de conscience, mais d'aspect et de comportement indiscernable d'un être doué de conscience. La question (contestée d'ailleurs par l'excellent Daniel Dennett) serait alors: comment distinguer de l'extérieur un zombie d'une personne normale? Comment détecter la conscience, et alors, comment la définir?

Bien que Dennett montre que c'est un faux problème, dans des livres qui peut-être, un jour, seront traduits en français, le concept m'est revenu à l'esprit ce matin, en allant chercher un colis à la Poste. Déjà observé à plusieurs reprises, le guichetier en charge des colis présente à mes yeux un véritable défi philosophique. Il doit avoir une trentaine d'années, mais tout dans son être indique l'attente placide de la retraite: les grosses lunettes, les cheveux avec épis, le gros pull en laine de celui qui aurait préféré rester chez lui, le visage sans expression, l'oeil terne, le mouvement lent et qui demande une longue planification.

MOI, tendant mon reçu et ma carte d'identité. - C'est pour retirer un colis.

LUI, recueillant lentement les deux papiers, doucement, à deux mains, les yeux paniqués par mon geste vif. - Bon.

Silence.

LUI, scrutant toujours les papiers. - C'est un colis?

MOI. - Oui, un colis.

LUI, les yeux toujours rivés sur les papiers, après un long soupir. - Un gros colis ou un petit colis?

MOI. - Je ne sais pas, j'ai juste eu l'avis de passage du facteur.

LUI, plaçant lentement ses mains sur ses hanches, l'air consterné et d'une extrême lassitude à l'idée de la tâche exténuante qui l'attend. - Parce que les petits colis c'est ici, pour les gros je dois aller voir derrière.

MOI. - ...

LUI, reprenant les papiers dans ses deux mains. - Un colis...

Pour situer le cadre, il faut savoir que c'est un très petit bureau de poste, avec toujours beaucoup de monde. La queue sort de l'immeuble et se poursuit sur le trottoir, de l'extérieur on dirait une boulangerie en URSS en 1947.

LUI, toujours immobile. - Bon, un colis. (soupir, mains sur les hanches. Il pivote pour jeter un coup d'oeil sur les colis derrière lui). Bon. Je vais aller voir derrière.

Et, très lentement, avec des petits pas qui font penser qu'il marche en pantoufles, il disparaît derrière une cloison, bras tombants, dos voûté. Un jour, j'ai dû lui demander de regarder deux fois, car au bout de quelques secondes sans avoir trouvé le colis, il était revenu me dire qu'il devait être dans une autre poste. Finalement, il s'était avéré que ledit colis était posé par terre.

Est-il doué de conscience? Porte-t-il en lui la flamme de la vie, l'enthousiasme de l'existence, l'étincelle qui fait de lui un homme plus qu'un automate? Est-ce là l'homme victorieux, l'homme qui repousse les limites de son état pour comprendre la nature et le monde qui l'entoure? Il va au-delà du concept philosophique de zombie, car à vrai dire rien ne le distinguerait d'une machine, si ce n'est qu'une machine serait plus rapide. Rien dans son visage n'indique la compréhension, l'empathie pour le client qui vient de se taper une heure d'attente dans le froid, le désir d'être efficace pour se prouver au moins à soi-même qu'on peut l'être. Il semble incapable de passions, du curiosité, ou même d'intérêt pour quoi que ce soit. Rien ne brille dans ses yeux.

J'ai eu mon colis, mais à quel prix?